L'APPLICATION DES DROITS SOCIAUX ET CULTURELS
DANS LE RECOURS INDIVIDUEL

 

par M. Paul MARTENS
Juge à la Cour d'arbitrage de Belgique
Professeur à l'Université libre de Bruxelles

 

Le sujet qui nous a été confié devrait se limiter à la question de savoir si, par l'exercice d'un recours individuel, toute personne peut obtenir la sanction d'une atteinte à ses droits sociaux et culturels. Un tel sujet mélange un problème de recevabilité et de fond : nous devrions théoriquement ne tenir compte que des pays qui connaissent le recours individuel et vérifier dans chaque cas si c'est bien à la faveur d'un tel recours que des droits culturels ou sociaux ont été garantis. Une telle limitation appauvrirait l'étude comparative puisqu'elle exclurait la prise en considération de pareils droits qui aurait été faite à la faveur d'autres procédures. Il faudrait par exemple délaisser tout le contentieux des questions préjudicielles puisqu'il ne s'agit pas de recours individuels au sens technique du terme.

Nous avons préféré une approche moins procédurale du sujet : si la plupart des décisions citées concernent des recours individuels, d'autres sont néanmoins retenues parce qu'elles contiennent des dispositions qui réaffirment le contrôle juridictionnel des droits sociaux et culturels, même si elles l'ont fait à l'occasion, tantôt d'un contrôle préventif, tantôt d'une question préjudicielle.

1. Les droits sociaux et culturels, qui appartiennent à la troisième génération des droits de l'homme, ont longtemps été suspectés de n'être pas de vrais droits. Contrairement aux droits fondamentaux et aux libertés classiques, il ne s'agit pas de droits protégeant l'individu contre le pouvoir et qui exigeraient de celui-ci un devoir d'abstention. Il s'agit de « droits-créances » dont on ne peut pas toujours cerner qui en est créancier et quelles sont les obligations du débiteur.

Pour ces différentes raisons, d'éminents auteurs ont combattu l'idée qu'ils puissent être consacrés par les constitutions. On contestait leur « caractère opérationnel ». On les suspectait même d'affadir la notion même de droits de l'homme puisqu'elle recouvrirait à la fois des libertés que le droit permet de garantir efficacement et des programmes qui sont insusceptibles de contrôle et de contrainte. Inscrire des droits insaisissables - comme le droit au travail, le droit à un environnement protégé, le droit de mener une vie décente, le droit au logement - dans des textes normatifs risquait de ravaler ceux-ci au rang de simples souhaits : « Baptiser "droits de l'homme" des voeux et des espoirs peut donner à penser que tous les droits de l'homme se ramènent à des espoirs et à des voeux, donc fournir une excuse à toutes leurs violations, et leur ôter le caractère opérationnel qui, seul, les fait sortir du domaine du discours, voire du slogan » (Jean RIVERO, « Déclarations parallèles et nouveaux droits de l'homme », R.T.D.H., 1990, pp. 323 à 329).

Pour s'opposer à ce que des droits économiques, sociaux et culturels soient inscrits dans la Constitution belge, un éminent constitutionnaliste s'écriait en 1973 : « Point de déclarations romantiques dans la Constitution ». (voir les autres auteurs cités dans Paul MARTENS, « L'insertion des droits économiques, sociaux et culturels dans la Constitution », R.B.D.C., 1995, pp. 3 à 20).

2. Malgré les exhortations de la doctrine, de nombreux Etats ont ratifié le Pacte ONU relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Toutefois, l'article 2, 1° , précise que les Etats signataires s'engagent à agir « en vue d'assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés ... ».

On en a déduit qu'un tel pacte était purement « programmatique », qu'il ne conférait aucun droit individuel et qu'un particulier ne pouvait donc s'adresser à un juge pour qu'il condamne un Etat à le respecter. Cette objection est pertinente en ce qu'un tel instrument international ne confère pas de droits subjectifs. Mais au contentieux objectif, la question est plus nuancée. Un exemple permettra de le démontrer.

3. En 1985, la Belgique a décidé d'exiger un droit d'inscription des élèves étrangers qui étudiaient dans des écoles belges et dont les parents ne payaient pas d'impôt en Belgique. Ces étudiants et leurs parents ont exercé devant le Conseil d'Etat un recours contre les circulaires imposant ce droit d'inscription, en invoquant les dispositions du Pacte qui prévoient l'instauration de la gratuité progressive de l'enseignement.

Le Conseil d'Etat a constaté que, même si le Pacte ne confère pas de droits individuels et s'il ne les oblige pas à rendre l'enseignement gratuit immédiatement, les Etats qui ont déjà inscrit dans leur droit interne des dispositions garantissant cette gratuité ne pourraient y déroger ultérieurement, en raison de l'effet de « stand still » des dispositions du Pacte ONU. Il a donc annulé les circulaires instaurant ce droit d'inscription. (C.E., 6.9.1989, arrêt n°  32.989, R.T.D.H., 1990, p. 184 et note Michel LEROY). En se fondant sur cet arrêt, les intéressés ont pu assigner l'Etat belge en remboursement des sommes qu'il avait indûment perçues.

Des particuliers ont également attaqué, devant la Cour d'arbitrage, des lois qui prévoyaient un droit d'inscription dans certaines écoles. A chaque fois, la Cour a fait application du principe de stand still et du Pacte ONU précité : elle a vérifié si, à la date de la signature de ce pacte, il n'existait pas des dispositions assurant la gratuité de l'enseignement concerné. Lorsqu'un droit d'inscription existait déjà, elle a vérifié si son augmentation n'excédait pas celle que l'augmentation du coût de la vie pouvait justifier (arrêts nos 12/92, 28/92, 33/92, 40/94).

On voit ainsi que, par l'effet de stand still et grâce au mécanisme du contentieux objectif, toute personne intéressée peut, par un recours individuel, obtenir, dans une certaine mesure, le respect de droits sociaux et culturels.

En 1988, la Belgique a inscrit dans sa Constitution un article selon lequel « l'accès à l'enseignement est gratuit jusqu'à la fin de l'obligation scolaire » (art. 24, § 3). Il s'ensuit que, jusqu'à l'âge de 18 ans, toute personne peut puiser dans cet article le fondement d'un droit subjectif à l'enseignement et à la gratuité de celui-ci.

4. La plupart des Constitutions ont inscrit, parmi les droits et libertés, des droits sociaux et culturels. On s'accorde à reconnaître que ces dispositions n'ont pas d'effet immédiat. Il est parfois prévu que ces droits ne sont garantis que pour autant que le législateur les ait organisés (voir par exemple l'article 23 de la Constitution belge).

On constate cependant que lorsque l'Etat s'est doté d'une Cour constitutionnelle, celle-ci a donné une effectivité à ces droits « programmatiques », tantôt parce qu'elle a annulé ou écarté les dispositions qui portaient atteinte au droit social ou culturel garanti (4), tantôt parce qu'elle l'a combiné avec le principe d'égalité (5), tantôt, parce qu'elle a fait application du principe de stand still (6).

5. L'article 35.1 de la Constitution espagnole prévoit que « tous les Espagnols ont droit au travail ». Cette disposition n'est pas de celles qui peuvent donner lieu à « amparo » devant le juge constitutionnel. Mais l'article 25-2 dispose que, dans les établissements pénitentiaires, les détenus ont « droit à un travail rémunéré » et il s'agit d'une disposition qui peut donner lieu à un recours d'amparo. Le 19 octobre 1989, le tribunal constitutionnel a fait droit au recours individuel d'un détenu qui se plaignait de n'avoir pu obtenir de l'administration pénitentiaire le travail rémunéré auquel il avait droit (A.I.J.C., 1989, p. 425).

La liberté syndicale étant inscrite dans de nombreuses Constitutions, les Cours constitutionnelles ont été fréquemment amenées à censurer les mesures qui portaient atteinte à son exercice : le tribunal constitutionnel espagnol a censuré la décision d'une entreprise empêchant à des délégués syndicaux de faire signer, dans l'entreprise mais en dehors des heures de travail, une pétition contre une modification des horaires de travail (19.6.1995). La Cour constitutionnelle allemande a censuré un arrêt de la Cour de cassation qui avait cassé une décision condamnant un employeur. Celui-ci avait sanctionné disciplinairement un délégué syndical qui avait remis à un compagnon de travail une brochure syndicale pendant les heures de travail (14.11.1995).

De telles décisions consacrent l'effet horizontal (drittwirkung) des droits et libertés garantis par la Constitution.

En sens inverse, par sa jurisprudence Mitsubishijushi, la Cour suprême du Japon a décidé que les droits fondamentaux de la Constitution ne peuvent être invoqués dans les conflits privés : ils garantissent les libertés individuelles et l'égalité « contre les abus de l'Etat, du Gouvernement ou des collectivités locales ».

Plusieurs cours constitutionnelles ont également dû se prononcer sur les atteintes au droit de grève : lorsque des limitations lui sont imposées, le juge constitutionnel vérifie si elles ne portent pas à ce droit une atteinte disproportionnée. La Cour constitutionnelle de Russie a censuré une interdiction de grève qui frappait l'ensemble du personnel des compagnies aériennes sans distinguer la nature des tâches et l'importance de celles-ci pour l'intérêt général (17.05.1995). De même, le Conseil constitutionnel français avait admis que les travailleurs d'un organisme de radio-télévision soient tenus d'assurer un service minimum, sans que cette dérogation au droit de grève puisse s'étendre à l'ensemble des missions du service (n°  79-105 DC).

On notera que la recevabilité d'un recours individuel en matière de droit de grève peut dépendre de la conception que l'Etat se fait de la nature de ce droit.

En Allemagne, le droit de grève est un droit collectif, lié à la notion de négociation collective et il appartient exclusivement aux syndicats.

En Italie, il s'agit d'un droit individuel; en France, d'un droit individuel qui s'exerce collectivement. En Espagne, le caractère individuel du droit de grève a été confirmé par une décision du tribunal constitutionnel du 8 avril 1981, qui a annulé une disposition selon laquelle la grève ne pouvait être déclenchée que par les représentants des travailleurs ou par un vote de la majorité des salariés demandé par 25 % d'entre eux.

6. Le « droit au travail », en tant que tel, n'est pas susceptible d'être contrôlé par le juge constitutionnel. Toutefois, combiné avec le principe d'égalité, il peut faire l'objet d'un contrôle.

La Cour constitutionnelle autrichienne a été saisie de plusieurs recours contre des dispositions interdisant aux pensionnés d'exercer une activité rémunérée. Elle a notamment vérifié s'il était conforme à la Constitution de ne pas imposer cette interdiction aux fonctionnaires. Elle a, dans chaque cas, combiné le droit au travail, garanti par la Constitution, avec le principe d'égalité (A.I.J.C., 1990, p. 476).

On trouve l'application des mêmes principes dans deux décisions du Conseil constitutionnel français (Décision n°  83-156 DC du 28.5.1983; Décision n°  85-200 DC du 10.1.1986).

La Cour d'arbitrage de Belgique a eu l'occasion de combiner le principe de la liberté du travail avec le principe d'égalité. Lorsque les gendarmes résilient prématurément leur engagement la loi permet de leur réclamer tout ou partie des frais exposés par l'Etat pour leur formation. Comme la loi ne précise pas suffisamment la durée du service qu'ils doivent accomplir et qu'elle permet de leur réclamer jusqu'à la totalité des frais de leur formation, pouvant ainsi faire pression pour qu'ils restent en service, il s'agit là d'une atteinte disproportionnée à la liberté du travail (arrêt n°  34/96).

7. La question la plus délicate, en matière de droits sociaux, concerne ce qu'on a appelé « l'irréversibilité de l'Etat social ». Doit-on considérer que les droits acquis par les travailleurs, qu'il s'agisse de la matière du droit du travail ou de celle de la sécurité sociale, sont des progrès définitifs et que les droits sociaux garantis par les Constitutions empêcheraient d'y déroger ? Autrement dit, y aurait-il un effet de « stand still » propre aux droits sociaux qui fait que, par cela seul qu'un Etat « rétrograderait », il violerait sa Constitution ?

a) En France, ce principe est parfois désigné comme celui de « l'ordre public social ». On s'est interrogé sur l'existence d'un « principe de faveur » qui, s'il était reconnu comme ayant valeur constitutionnelle, interdirait au législateur de diminuer les garanties légales de sa mise en oeuvre. Il semble que dans l'Etat actuel du droit français, ce principe qu'on désigne aussi par l'expression « cliquet de non-retour », doive être considéré, non comme un principe de valeur constitutionnelle, mais comme un principe général de droit, auquel le législateur peut déroger (voir notamment : Marie-Laure MORIN, « Le Conseil constitutionnel et le droit à la négociation collective » , Droit social, 1997, p. 25; Bertrand MATHIEU, « Précisions relatives au droit constitutionnel de la négociation collective », D. 1997, Chron., p. 152).

Cette question touche à ce qui fait la spécificité des droits sociaux : ils sont indissociables des droits économiques. Les prestations que le législateur consacre en faveur des travailleurs exigent toujours qu'elles soient financées par l'Etat ou par l'employeur. Cette tension apparaît lumineusement dans cette définition du professeur PFERSMANN :

« Nous parlerons de droits économiques et sociaux lorsqu'un droit donne accès au marché ou à des prestations qui se substituent à ses carences » (A.I.J.C., 1994, p. 314).

Le juge constitutionnel sera souvent amené à peser si la reconnaissance d'une garantie sociale n'impose pas des sacrifices excessifs aux opérateurs économiques ou à l'Etat. Dans cette appréciation, il devra tenir compte de la situation économique du pays et de la conception politique de ses dirigeants.

Ainsi, le Conseil d'Etat de Grèce a développé une jurisprudence selon laquelle l'affirmation constitutionnelle des droits sociaux n'a que la valeur d'une orientation, le législateur n'étant pas tenu de la suivre en l'absence des moyens nécessaires. Dans un arrêt rendu en 1993 (1774/93), il a décidé que le droit à la conservation des acquis sociaux, indépendamment de sa valeur sociale ou morale, n'est pas un droit « au sens juridique du terme ». La Constitution n'interdit donc pas au législateur de soumettre, par exemple, le droit à la retraite à des conditions plus sévères que celles prévues par la législation antérieure.

De même, la Cour constitutionnelle de Slovénie a considéré que le droit à une rémunération pour le travail accompli est garanti au travailleur mais qu'un montant précis de salaire ne peut être considéré comme un droit acquis car « il pourrait être modifié conformément à la loi, à une convention collective ou à un règlement général de l'employeur » (14.09.1995).

Pour justifier certaines mesures en matière de droits sociaux, le Conseil d'Etat de Grèce fait appel à des notions telles que « l'expérience commune », la « paix sociale » ou « l'intérêt général ».  La doctrine a contesté cette jurisprudence qui, en recourant à des notions aussi imprécises, risque de conduire au remplacement du contrôle constitutionnel de la loi par un contrôle veillant à la « légalité de la Constitution » (A.I.J.C., 1993, p. 536).

Un mouvement comparable se remarque dans la jurisprudence d'anciennes démocraties populaires.

Ainsi, la Cour constitutionnelle de Pologne fait référence à la situation économique ou à la crise des finances publiques lorsqu'elle est saisie de questions mettant en cause des droits économiques ou des droits sociaux. Si le droit aux assurances sociales doit être assuré « dans une mesure toujours plus large », cet impératif constitutionnel « dépend toutefois de l'évolution économique du pays » ce qui peut affecter le maintien de la nature même du droit aux assurances sociales (A.I.J.C., 1992, p. 606). Le droit à la pension de retraite interdit la diminution excessive du montant des pensions. Le juge constitutionnel doit alors faire un contrôle de proportionnalité et voir si les sacrifices imposés à une catégorie de personnes peuvent se justifier par la solidarité sociale (ibid., p. 683). Dans une autre décision, la Cour a considéré que la protection constitutionnelle s'étend aux conditions d'acquisition, de durée et de cessation du droit aux prestations sociales, mais non à leur montant. Des modifications peuvent en effet se justifier par les difficultés économiques, le législateur ne pouvant cependant agir arbitrairement et sans raison dûment motivée (ibid.). Plus explicitement encore, le tribunal constitutionnel a considéré que « dans les conditions de l'économie de marché, les diversifications de la situation matérielle des personnes employées chez différents employeurs est un phénomène normal. ». Ici, c'est donc la nouvelle philosophie de l'économie de marché, et notamment de la liberté d'entreprendre, qui dispense l'Etat de l'obligation de garantir l'égalité sociale.

Tout autre est la situation en Italie où la Cour constitutionnelle semble considérer l'irréversibilité de l'état social comme un principe de valeur constitutionnelle. En Italie, la Cour va extrêmement loin dans son contrôle de constitutionnalité puisque, lorsqu'elle constate une infraction aux principes constitutionnels, elle n'hésite pas à imposer à l'Etat des obligations positives. C'est ce qu'on a appelé les « arrêts additifs de prestations ».

Ainsi, à propos du calcul de l'indemnité de départ qui devait être payée à certains fonctionnaires, la Cour a eu l'occasion de détailler quels devaient être les éléments constitutifs de cette indemnité mais elle a ajouté que, dès la prochaine loi budgétaire, le Parlement devrait dégager les moyens financiers utiles au paiement de cette indemnité, annonçant que la Cour pourrait être saisie à nouveau, si le Parlement ne s'exécutait pas.

8. CONCLUSION

Il ne semble exister aucun obstacle à ce que des recours individuels soient introduits en matière de garantie des droits sociaux ou culturels, dans les pays où ce recours individuel existe. Les obstacles ne sont pas d'ordre procédural mais concernent le droit matériel lui-même. A l'exception du Japon, où l'effet horizontal des garanties constitutionnelles semble être nié, il semble que la plupart des pays admettent que les droits sociaux, garantis par la Constitution, puissent être invoqués dans les relations de droit privé.

Il ne semble pas que des recours individuels permettraient à des citoyens de conquérir de nouveaux droits sociaux. Les Cours ont été surtout amenées à vérifier si le retrait de certaines garanties était conforme à la Constitution.

Elles ont garanti le respect des libertés explicitement inscrites dans la Constitution, telles que la liberté syndicale, le droit d'être syndiqué, le droit à la négociation collective, le droit de grève.

 A propos d'autres droits sociaux, elles en ont consacré le respect en les combinant avec le principe d'égalité. Dans certains cas, elles ont fait application du principe de stand still.

 Mais la divergence de jurisprudence selon les Etats est fonction de leur situation économique et de leur régime politique.

 Il semble que la garantie des droits sociaux et culturels, parce qu'elle nécessite des moyens budgétaires, dépend de la prospérité du pays et en tout cas des options qui ont été faites par ses dirigeants. Les droits sociaux et culturels seront toujours en balance avec les droits économiques. La mission du juge constitutionnel est extrêmement délicate puisqu'elle suppose des appréciations de caractère politique. A l'inverse des libertés classiques, qui donnent lieu à des décisions de principe qui, grâce au rôle de la Cour européenne des droits de l'homme, dégagent des principes communs à toutes les démocraties, la consistance des droits sociaux et culturels varie dans le temps et dans l'espace : ils sont à la fois locaux et conjoncturels. Hormis un seuil minimal, que les constitutions désignent parfois comme tenant à la dignité humaine, ils se prêtent à des appréciations qui varient selon les régimes et surtout selon la situation économique du pays.

 Mais c'est précisément parce que le recours individuel, là où il existe, peut porter sur la garantie de tels droits que les cours sont amenées à analyser, à dévoiler la philosophie politique de chaque pays.