Le rôle des instruments internationaux dans la protection nationale des droits de l’homme (Applicabilité directe des traités internationaux)

Professeur Jacques ROBERT
Président honoraire de l’Université de Paris
II Membre du Conseil constitutionnel

 

Trois questions fondamentales doivent être ici évoquées successivement:

- Comment la norme internationale concernant les droits de la personne humaine est-elle « reçue » en droit interne par les différents Etats ?

- Quelle valeur lui confère-t-on ?

- Comment cette norme influe-t-elle sur le comportement du juge constitutionnel national ?

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I - La réception par les droits internes des normes internationales concernant les libertés publiques.

Cette réception soulève deux problèmes :

- celui des modalités d’introduction de la norme internationale dans l’ordonnancement juridique interne ;

- celui de la valeur juridique reconnue à la norme introduite.

A) L’introduction de la norme internationale concernant les droits de l’homme dans l’ordonnancement juridique national.

Chaque pays a ses propres techniques et modalités d’introduction dans son droit interne des conventions internationales. Mais, en réalité, elles ne diffèrent point fondamentalement. Il s’agit toujours des mêmes procédés d’approbation et de ratification. L’originalité se trouve dans la place respective, en cours de procédure, des principales dispositions constitutionnelles ou dans l’appel - ou non - au référendum populaire.

On donnera ici quelques exemples :

. En Belgique, avant qu’un traité puisse produire des effets, il doit dans certaines hypothèses, être approuvé par les chambres législatives et/ou par les Conseils des communautés selon le cas. Après son approbation, le traité est normalement ratifié par le Roi et publié au «Moniteur » belge.

L’article 16 de la loi du 8 août 1980 prescrit pour sa part que les traités ou accords relatifs à la coopération dans les matières culturelles, les matières d’enseignement ou les matières personnalisables doivent recevoir l’assentiment du Conseil de la Communauté française, du Conseil flamand ou des deux Conseils s’ils sont l’un et l’autre concernés. Les traités relatifs aux matières visées qui concernent la Communauté germanophone doivent être approuvés par le Conseil de la Communauté germanophone . Il en va de même, mutatis mutandis, pour l’Assemblée réunie de la Commission communautaire commune qui est compétente à Bruxelles pour les matières communautaires qui sont communes aux deux Communautés .

Les Chambres législatives et les Conseils de Communauté donnent leur assentiment conformément à une pratique constante, par la voie d’une loi ou d’un décret, selon le cas, adoptés à la majorité simple. La loi d’approbation ou le décret d’assentiment ne contiennent d’habitude qu’un seul article, aux termes duquel le traité concerné « sortira son plein et entier effet ».

C’est en principe après l’approbation par les assemblées législatives que le traité doit être ratifié.

En Pologne, la ratification est effectuée par le Président de la République, avec l’accord préalable de la Diète si la ratification entraîne des charges financières ou la nécessité de modifier la loi.

En Suisse, la ratification que le Conseil fédéral doit proposer à l’assemblée fédérale s’effectue par un arrêt simple soumis à référendum facultatif.

Aux termes de l’article 8 de la Loi fondamentale portugaise, les normes figurant dans les conventions internationales dûment ratifiées ou approuvées entrent en vigueur dans l’ordre interne après publication. On distingue les traités qui ont une valeur législative et les accords en forme simplifiée qui ont une valeur réglementaire. L’approbation des traités revient à l’assemblée de la République (article 164 de la Constitution) par la voie de la résolution et celle des accords revient au Gouvernement par la voie du décret (article 200 de la Constitution).

En Turquie, l’article 90 de la Constitution dispose que les conventions « dûment mises en application » ont force de loi. Le Conseil d’Etat peut, à la demande du Premier Ministre et du Président, donner un avis sur un traité non encore ratifié.

Au Luxembourg, l’article 37-2 de la Constitution implique que les traités dévolutifs de l’exercice de la souveraineté et réservées aux pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, doivent être adoptés par une majorité qualifiée de députés.

En France, les traités relatifs aux droits de l’homme n’obéissent pas à des règles spécifiques d’introduction dans l’ordre interne. Ils sont soumis en la matière aux dispositions constitutionnelles applicables à l’ensemble des engagements internationaux.

Selon l’article 52 de la Constitution, « le Président de la République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à ratification ».

L’article 53 énumère ceux des traités qui ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’après une autorisation donnée par la loi. Il s’agit des traités de paix, des traités de commerce, des traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, de ceux qui engagent les finances de l’Etat, de ceux qui modifient des dispositions de nature législative, de ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, de ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire.

Au regard de ces dispositions, l’introduction en droit interne d’un traité touchant aux droits de l’homme ne requiert pas, en principe, l’intervention d’une loi constitutionnelle et résulte normalement d’une loi en autorisant la ratification, suivie d’un décret qui en porte publication.

L’intervention d’une loi constitutionnelle n’a jamais été requise en fait bien qu’on ne puisse totalement l’exclure en théorie. Deux hypothèses peuvent en effet être distinguées :

En premier lieu, dans la mesure où le pouvoir constituant est souverain , il pourrait décider d’incorporer un traité dans l’ordre interne par une loi constitutionnelle à l’effet de lui conférer une valeur égale à celle de la Constitution. Pareille éventualité ne s’est pas vérifiée à ce jour, s’agissant d’un Traité tout entier. Tout au plus peut-on relever que, lors de l’élaboration de la Constitution de 1958, il fut envisagé de faire référence, dans son Préambule, à la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais cette suggestion ne fut pas retenue. Par contre, au moment de la ratification du Traité de Maastricht un nouveau Titre entier de la Constitution fut consacré à l’Union européenne.

En second lieu, est controversée en doctrine la question de savoir si un traité qui comporterait une clause contraire à la Constitution ne pourrait pas voir sa ratification autorisée en vertu d’une loi constitutionnelle qui emporterait, en tant que de besoin, modification de la Constitution sans qu’il soit nécessaire en pareil cas qu’une révision appropriée de la Constitution précède l’intervention de la loi autorisant la ratification du traité en cause.

- L’intervention d’une loi ordinaire autorisant la ratification d’un traité est la procédure normale. Elle s’impose s’agissant d’un traité relatif aux droits de l’homme car le contenu d’un semblable engagement international touche au domaine réservé au législateur en vertu de l’article 34 de la Constitution. Il revient en effet à la loi de fixer les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».

Il importe de souligner que la loi autorise la ratification, laquelle est de la compétence de l’exécutif.

- La ratification une fois opérée, le traité n’est opposable dans l’ordre interne que pour autant qu’il est publié. La réglementation applicable exige en principe l’intervention d’un décret publié au Journal officiel de la République française.

Mais à quel « niveau » la norme internationale est-elle introduite dans l’ordre interne ?

II - Le niveau d’intégration

Valeur législative, valeur supra-législative, valeur infra-constitutionnelle, valeur constitutionnelle ?

Les quatre options sont présentes dans la variété des solutions étatiques choisies.

Disons - pour, dès le départ, clarifier un peu les choses - que, d’une manière générale, il semble que la plupart des Etats reconnaissent la primauté de la Convention internationale sur la loi ordinaire, sans pour autant lui donner une valeur constitutionnelle.

Mais ne sont pas rares, non plus, les Etats qui ne donnent à la norme internationale que la seule valeur juridique de la loi qui l’a introduite dans l’ordre interne.

Quelques exemples pris dans la diversité des options retenues.

En Autriche, la Convention européenne des droits de l’homme et le premier protocole ont été signés par le Président fédéral et ratifiés par le Conseil national. Comme les textes de rang constitutionnel doivent être expressément désignés comme tel, la Convention européenne des droits de l’homme ne s’est pas vu reconnaître un rang constitutionnel par la Cour qui a refusé également l’application directe de ces textes. C’est seulement en 1964 (réforme de la Constitution fédérale) que la Convention a été élevée au rang constitutionnel.

D’autre part, l’article 50 de la loi constitutionnelle a été modifié lors de cette même réforme en ce sens que les traités internationaux de rang constitutionnel doivent être désignés comme tels au moment de la ratification par le Conseil national.

Tous les protocoles additionnels de la Convention, sauf le huitième, ont été ratifiés avec rang constitutionnel.

Les pactes de l’ONU, en revanche, ont rang de lois fédérales. Ainsi, les pactes de l’ONU ne sont pas directement applicables mais doivent être transposés en droit interne par des lois d’application avant de garantir des droits subjectifs. De telles lois d’application n’ont pas été votées par ce que l’Autriche estime que tous les droits garantis par les pactes de l’ONU le sont déjà par l’ordre interne autrichien.

En Allemagne, les droits de l’homme qui sont garantis dans un traité de droit international, comme la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH), le Pacte international des droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) sont introduits en droit interne allemand par une loi d’approbation conformément à l’article 59.II de la Loi fondamentale. Les traités ont donc une valeur égale à la loi fédérale, supérieure à la loi des Länder. Cependant les lois ultérieures aux traités ont une force supérieure à ceux-ci bien que, tout de même, le principe de l’interprétation favorable aux traités soit appliqué par les tribunaux qui interprètent les lois.

Enfin, les normes internationales des droits de l’homme ont, dans l’ordre juridique allemand, un rang supérieur aux lois, lorsqu’elles ont la qualité de règles générales du droit public international et créent directement des droits et obligations pour les habitants du territoire fédéral. Ainsi les normes internationales protectrices des droits de l’homme sont supérieures aux lois mais inférieures à la Loi fondamentale. Mais, en tout état de cause, la Constitution assure une valeur quasi supra-constitutionnelle à la dignité de l’être humain, à ses droits fondamentaux inviolables et sacrés puisqu’ils ne peuvent pas faire l’objet d’une révision.

En Italie, les normes internationales introduites en droit interne ont une valeur qui est déterminée par la valeur de la norme qui permet son intégration. A titre d’exemple, on notera que les « normes introduites » au sens de l’article 10 de la Constitution ont une valeur supérieure aux normes internes ordinaires. En revanche, les normes internationales introduites à travers les mesures d’exécution et qui ont valeur de loi ordinaire doivent être considérées comme inconstitutionnelles si elles entrent en conflit avec les normes constitutionnelles internes.

La doctrine admet que le droit international généralement reconnu auquel fait référence l’article 10 de la Constitution comprend non seulement les normes coutumières mais aussi les normes à caractère général, comme les principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées. Ainsi une grande partie de la doctrine considère que les normes internationales relatives aux droits de l’homme ont le rang de normes constitutionnelles (articles 2 et 10 de la Constitution), bien que la plupart de celles-ci soient introduites par un ordre d’exécution et ont rang de lois ordinaires.

Ainsi introduite dans l’ordre juridique interne de l’Etat, la norme internationale relative aux droits de l’homme va-t-elle avoir une influence -et laquelle- sur les déterminations ultérieures du juge constitutionnel national ?

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III - L’influence de la norme internationale concernant les droits de l’homme sur le juge constitutionnel :

L’intensité de cette influence variera.

- Dans certains pays, le juge constitutionnel utilisera directement, en l’appliquant, la norme internationale relative aux droits de l’homme.

- Dans d’autres, la norme internationale ne constituera qu’une référence pour l’examen de la constitutionnalité de la loi.

- Enfin, la norme pourra être, parfois, pour le juge constitutionnel national, seulement un élément auxiliaire d’interprétation.

a) - L’utilisation directe de la norme internationale par le juge constitutionnel national.

Les positions sont aussi diverses que tranchées. Quelques exemples caractéristiques :

On considère, en Belgique, en ce qui concerne la Convention européenne des droits de l’homme, que la plupart des dispositions du titre 1er et des quatre premiers Protocoles ont un effet direct dans l’ordre juridique interne. Les préambules de la C.E.D.H. et de ses Protocoles ainsi que certains aspects de quelques dispositions de la C.E.D.H. ne se sont pas vus reconnaître un tel effet direct.

L’effet direct du Pacte international des Droits Civils et Politiques (P.I.D.C.P.) n’a guère été contesté en Belgique. On admet à présent qu’un grand nombre de dispositions de ce Pacte ont bel et bien un effet direct.

En Autriche, la Cour constitutionnelle fait une application directe de la Convention européenne des droits de l’homme et de ses protocoles additionnels comme éléments du droit constitutionnel.

Les dispositions de la CEDH et particulièrement celles relatives à la marge d’appréciation laissée à la loi par les articles 8, 9, 10 et 11 ainsi que la jurisprudence des organes de Strasbourg ont contribué à modifier la conception qu’avait la cour constitutionnelle des droits fondamentaux, évolution qui a eu un grand retentissement en Autriche. Auparavant, lors de l’examen d’une loi, la Cour ne se posait que la question de l’atteinte portée à l’essence d’un droit fondamental. Aujourd’hui, la nouvelle jurisprudence est davantage sensible au contenu matériel des droits fondamentaux. La Cour ne se contente donc plus de vérifier si une atteinte a été portée à l’essence d’un droit fondamental, mais si cette atteinte est justifiée par un intérêt général et si les moyens mis en oeuvre sont adaptés au but recherché. Cela dit, le législateur conserve une large marge d’appréciation.

En Italie, une partie de la doctrine voudrait que l’on reconnaisse aux normes protégeant les droits de l’homme un statut particulier qui les placerait au même niveau que le droit constitutionnel et même que les principes situés au-dessus de lui. L’article 10 de la constitution qui est la clause d’ouverture au droit international devrait permettre de pouvoir considérer ces normes internationales comme d’application directe, en dépit des ordres d’exécution par lesquels elles sont intégrées en droit interne.

De son côté, la jurisprudence française considère que c’est au juge ordinaire chargé de l’application de la loi qu’il incombe de faire prévaloir, s’il y a lieu, le traité sur la loi, même postérieure.

Cette solution a aujourd’hui valeur de principe mais la doctrine française se demande si le Conseil constitutionnel n’y apportera pas, le moment venu, une exception justifiée par les termes de l’article 88-3 ajouté à la Constitution par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992. Cet article dispose que le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales des citoyens de l’Union européenne (autres que les ressortissants français) sera exercé selon les modalités prévues par le traité sur l’Union européenne du 7 février 1992, c’est-à-dire par les instances communautaires. Néanmoins, le dernier alinéa de l’article 88-3 énonce que ses conditions d’application seront déterminées par une loi organique. Par sa décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992 le Conseil constitutionnel a souligné que la loi organique ainsi prévue : « devra respecter les prescriptions édictées à l’échelon de la Communauté européenne » pour la mise en oeuvre du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales des citoyens de l’Union européenne.

- D’autres pays, enfin, semblent plus réticents à l’utilisation directe par le juge national de la norme internationale relative aux droits de l’homme. On pourra ici citer l’Espagne, l’Islande, le Luxembourg, peut-être aussi la Turquie et le Portugal...

b) - La norme internationale référence pour le juge constitutionnel national

Aussi bien en Autriche qu’en Belgique, les mentions expresses des sources internationales dans les décisions rendues par le juge constitutionnel sont nombreuses.

On mentionnera plus spécialement pour l’Autriche que, dans la mesure où, la Convention européenne et ses protocoles ayant valeur constitutionnelle, le particulier peut se prévaloir, à l’appui de son recours, des normes qui y figurent, il est tout-à-fait logique que l’on découvre dans les décisions de la Cour d’importantes références européennes, non seulement en ce qui concerne les lois fédérales, mais les lois des Etats fédérés, les règlements et actes administratifs ou les mesures d’exécution forcée.

De nombreux exemples de références internationales peuvent, également être cités en Hongrie, en Turquie, en Pologne (dans ce dernier pays, les exemples les plus révélateurs sont les références à la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) en matière de pension d’invalidité, et au Pacte international des droits économiques et sociaux en ce qui concerne le système de retraite)...

En France, le Conseil constitutionnel a visé, dans plusieurs de ses décisions intervenues en application de l’article 54 de la Constitution, les traités fondateurs des Communautés et les textes les ayant modifiés ou complétés.

Il a procédé pareillement lorsqu’il s’est refusé à toute mise en cause des traités fondateurs dans le cadre de saisines opérées sur le fondement de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution.

Dans le même ordre d’idées, à l’occasion de l’examen du Protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, le Conseil a, par la force des choses, visé cette dernière.

Beaucoup plus significative que la mention des engagements internationaux est la référence faite par le Conseil constitutionnel, ne serait-ce qu’implicitement, à la jurisprudence, soit de la Cour de justice des communautés européennes, soit des organes de la convention européenne des droits de l’homme.

A défaut d’être appliquée directement ou de simplement faire l’objet d’une référence précise, la norme internationale ne peut-elle point constituer un élément d’interprétation pour le juge constitutionnel national ?

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c) La norme internationale, élément auxiliaire d’interprétation ?

On notera ici la perplexité de plus d’un juge national face à une norme internationale qui, tout à la fois, l’interpelle, le fascine et l’inquiète.

A l’évidence, par exemple au Portugal, le juge ne refuse point d’utiliser la norme internationale relative aux droits de l’homme comme source d’inspiration. Mais ne préfère-t-il pas, secrètement, puiser dans l’ordonnancement constitutionnel interne, les solutions aux questions de constitutionnalité touchant aux droits de l’homme ? En définitive, les règles et principes des conventions internationales n’apparaissent-elles pas seulement comme de simples éléments auxiliaires d’interprétation ?

En Espagne, la situation est un peu différente mais, finalement, la solution est la même. Le tribunal constitutionnel, dans son contrôle de la constitutionnalité des lois, ne peut utiliser, comme critère de contrôle, que les seules normes du droit interne. De ce fait, une loi nationale ne pourra jamais être déclarée inconstitutionnelle du seul fait qu’elle enfreint les dispositions d’un traité. Il en est de même de l’amparo. Un recours d’amparo ne peut pas s’appuyer directement sur la violation de droits reconnus par les traités internationaux. Mais si les traités ne sont pas érigés en « canons autonomes » de la validité des normes internes du point de vue des droits fondamentaux, cela ne veut pas dire que l’on ne puisse utiliser les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme comme critères d’interprétation des droits consacrés constitutionnellement.

En Allemagne, les normes internationales relatives aux droits de l’homme ne peuvent constituer une référence pour l’examen de la constitutionnalité des lois parce qu’elles n’ont pas valeur de lois constitutionnelles en Europe. On ne peut donc invoquer la violation d’une norme de la C.E.D.H. ou d’une norme d’un autre traité international. En revanche, au cours de l’examen d’un recours constitutionnel, recevable pour d’autres moyens, le tribunal fédéral s’est appuyé sur les normes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (C.E.D.H.), du Pacte international des droits civils et politiques (P.I.D.C.P.), du Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels (P.I.D.E.S.C.) et de la Charte sociale européenne.

En ce qui concerne une éventuelle contrariété entre le droit fédéral ordinaire et le droit communautaire, on notera que la question relève de la compétence des tribunaux spécialisés.

Enfin, si les droits de l’homme sont des principes généraux du droit international au sens de l’article 25 de la loi fondamentale, un individu peut saisir le tribunal fédéral en se référant à l’article 2 et introduire un recours constitutionnel.

Ainsi, le tribunal fédéral s’est à plusieurs reprises fondé sur des normes internationales relatives aux droits de l’homme comme sources d’inspiration notamment pour les normes de la C.E.D.H. Il a estimé qu’il fallait prendre en compte le contenu et le degré d’évolution de la C.E.D.H. tel qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour dans la mesure où cela n’aboutissait pas à une restriction de la protection conférée par la loi fondamentale.

Le tribunal fédéral s’est appuyé sur les normes de la C.E.D.H. comme source d’inspiration à plusieurs reprises à propos des lois pénales réprimant l’homosexualité (en 1957), pour savoir si un accusé a le droit de revendiquer un avocat déterminé comme avocat commis d’office (référence à l’article 6 de la Convention), à propos de la liberté de mariage (référence à l’article 12).

En Italie, les normes internationales sur la protection des droits de l’homme, même quand elles ont été introduites dans l’ordre juridique italien avec valeur législative, sont malgré tout utilisées aussi comme éléments d’interprétation de normes internes de même contenu dans le cadre du devoir d’adaptation.

Il semble - même si certaines nuances ou incertitudes peuvent se déceler ici ou là - que la norme internationale ait été ou soit encore utilisée comme élément d’auxiliaire d’interprétation, en Turquie, en Pologne, en Croatie, en Suisse.

Comme la norme conventionnelle, la jurisprudence européenne elle-même n’a jamais manqué, de son côté, d’influencer les interprétations et déterminations de certaines cours européennes.

Cette influence se vérifie, par exemple, en France dans le domaine de la liberté d’expression, notamment, où l’affirmation par la Cour européenne du pluralisme comme condition de la démocratie a trouvé un écho dans la jurisprudence constitutionnelle.

Le fait pour la Cour européenne de ne pas limiter les principes de base du droit pénal et de la procédure pénale à leur sphère traditionnelle d’application mais de les étendre à l’ensemble du droit répressif a été un encouragement pour le Conseil constitutionnel à procéder pareillement .

Enfin, c’est en prenant en considération la jurisprudence de la Cour européenne relative à l’article 6 de la Convention que le Conseil constitutionnel a jugé que le principe des droits de la défense implique en matière pénale « l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties.