LE CONTENTIEUX ELECTORAL EN SUISSE

par Etienne GRISEL
Professeur à l'Institut de Droit Public,
Université de Lausanne

 

 

INTRODUCTION

1. Le système politique de la Suisse se singularise à deux égards. D'une part, la structure du pays est fédérative, un Etat central, improprement appelé la «Confédération», se superposant à des Etats fédérés, nommés «cantons». D'autre part, la Constitution aménage une démocratie dite «semi-directe», dans laquelle les votations se conjuguent avec les élections.

2. Dans un pareil régime, l'élection prend un caractère particulier. Certes, elle permet, comme toujours, de nommer des gouvernants. Mais ceux-ci, une fois désignés, n'acquièrent pas la liberté de mouvement que leur garantirait une démocratie purement représentative. En tout temps, les députés et les membres de l'exécutif demeurent assujettis au peuple, qui a nécessairement le dernier mot: il a le droit de référendum, c'est-à-dire la faculté d'être consulté sur les objets importants et de trancher souverainement; il jouit ensuite du droit d'initiative, qui l'habilite à proposer des innovations. Dans ces conditions, l'élection est une péripétie, parmi d'autres, de la vie civique. Elle ne fournit pas une occasion de faire de véritables «choix de société» et ne suscite qu'un intérêt modéré. Elle consiste avant tout à compter les rapports de force politiques et à sélectionner les candidats, dont les programmes ne diffèrent pas sur les points essentiels.

3. Il suit de là que les élections sont peu personnalisées. Généralement, il s'agit de scrutins plurinominaux, suivant soit la répartition proportionnelle, soit la majoritaire à deux tours. Le système uninominal à un tour, si répandu dans les pays de tradition britannique, est presque inconnu en Suisse. C'est dire que les opérations électorales y sont souvent plus compliquées qu'ailleurs, de la présentation des listes de candidats au vote lui-même et à la proclamation des résultats.

4. Aussi les causes de contestation ne manquent-elles pas. Pourtant, le contentieux électoral joue un rôle plutôt secondaire, pour deux raisons très différentes. D'un côté, les querelles idéologiques et les passions individuelles restent largement étrangères au débat. D'un autre côté, il appartient aux autorités de veiller spontanément à la régularité des actes électoraux; c'est à elles qu'il incombe au premier chef d'assurer le respect de la Constitution et de la loi. Certes, les citoyens ont des prétentions subjectives à faire valoir; ils peuvent exiger que leur qualité d'électeur leur soit reconnue, que les scrutins se déroulent selon les règles et que les résultats ne soient pas faussés par des vices de forme ou des erreurs de calcul. Ils jouissent donc de possibilités d'appel, dont ils font parfois usage. Mais cette faculté n'est que subsidiaire, par rapport aux investigations qui ont lieu d'office: le registre des électeurs doit être constamment tenu à jour, les listes de candidats seront vérifiées, au besoin épurées, les locaux de vote seront aménagés convenablement, les bulletins seront comptés et recomptés jusqu'à ce que disparaisse toute incertitude.

5. Les voies de droit divergent, selon que les élections sont fédérales ou cantonales. Les premières sont sensiblement plus simples que les secondes.

I. EN MATIERE FEDERALE

6. La seule élection fédérale que connaisse la Suisse concerne le Conseil national, c'est-à-dire la Chambre basse du Parlement. Celle-ci est censée représenter le «peuple suisse» dans son ensemble, tandis que l'autre Chambre est composée de députés des cantons, désignés par chacun d'eux, dans une élection qui a un caractère purement cantonal.

7. L'élection du Conseil national, qui obéit au principe de la proportionnalité, a toutefois lieu dans vingt-six circonscriptions distinctes, chaque canton et demi-canton «formant un collège électoral». L'opération est ainsi de nature hybride, ce qui explique sans doute la double voie de recours que prévoit la loi.

A. Le recours au gouvernement cantonal

8. En première instance, les contestations relatives au droit de vote ou à l'élection du Conseil national doivent être portées devant le gouvernement du canton où s'élève la difficulté. Il peut sembler singulier que la procédure de recours commence ainsi devant un exécutif cantonal. Les inconvénients qui en résultent sont évidents: non seulement des jurisprudences disparates peuvent apparaître, mais surtout l'autorité saisie est souvent celle qui a pris la décision attaquée et elle ne présente d'ailleurs pas les garanties d'un tribunal indépendant; enfin, elle ne jouit que d'un pouvoir limité, puisque la validation de l'élection appartient de toute manière au Conseil national lui-même. Cependant, des raisons pratiques justifient l'institution d'un recours cantonal, qui permet d'établir rapidement les faits et parfois de corriger sans tarder les irrégularités constatées, étant entendu qu'il appartient au Conseil national — ou au Tribunal fédéral — de trancher en dernier ressort.

9. Le recours peut avoir pour objet une question relative, soit au droit de vote, soit à la préparation et à l'exécution de l'élection. Il ne vise pas nécessairement une décision formelle, il s'en prend parfois à une abstention fautive (refus de délivrer une carte civique), à un acte matériel d'une autorité (erreur de calcul), voire aux actions illicites de simples particuliers (propagande illégale, soustraction ou falsification de bulletins de vote).

10. Les motifs de recours peuvent tenir à la mauvaise appréciation de faits déterminants ou à une interprétation incorrecte des règles topiques, lesquelles comprennent à la fois les principes généraux sur la liberté de vote et les normes précises qu'énoncent la loi sur les droits politiques ou le Code pénal.

11. Toute personne qui est citoyen actif — ou qui prétend l'être — a qualité pour agir. Les partis et organisations politiques sont également recevables. Aussi s'agit-il d'une sorte d'actio popularis, inhabituelle en droit suisse, mais qui se justifie par le caractère impératif de la législation électorale.

12. Le délai est exceptionnellement bref: il échoit trois jours après «la découverte du motif de recours» et au plus tard le troisième jour qui suit la publication du résultat de l'élection dans la feuille officielle du canton.

13. Le gouvernement cantonal est tenu de trancher dans les dix jours après le dépôt du mémoire. La procédure est donc écrite, simple et rapide. L'exécutif jouit d'un pouvoir d'examen libre, qu'il exerce d'office, à la fois pour constater les faits et pour dire le droit. Mais son rôle est limité par la force des choses: s'il rejette le recours, l'affaire sera presque toujours déférée à l'autorité de seconde instance; s'il déclare le pourvoi bien fondé, il redresse l'erreur établie, quand c'est possible et, à défaut, il rend un prononcé purement déclaratoire, puisque seul le Conseil national a la faculté de valider — ou d'invalider — l'élection de ses membres.

B. Le recours à l'autorité fédérale

14. Il y a deux sortes de recours à une autorité fédérale, selon la question soulevée par le justiciable: si elle vise le droit de vote, il s'agit d'un recours de droit administratif au Tribunal fédéral; lorsqu'elle a trait à la préparation ou à l'exécution de l'élection, la contestation doit être portée devant le Conseil national.

a. Le recours touchant le droit de vote

15. Le Tribunal fédéral est l'autorité judiciaire de la Confédération suisse. Formé de trente juges, il se divise en cinq sections qui statuent généralement sur des recours dirigés contre les décisions des autorités inférieures. Il étend sa compétence aux causes qui appellent l'application du droit fédéral. Dès lors, chaque fois qu'un gouvernement cantonal statue sur l'existence — ou sur l'exercice — du droit de vote en matière fédérale, son prononcé est susceptible d'un recours au Tribunal fédéral, qui reverra le problème à la lumière de la Constitution, notamment des articles 43 et 74, et de la législation, en particulier des articles 1er à 9 de la loi sur les droits politiques.

16. Le recours appartient à tout individu qui a qualité pour agir devant le gouvernement cantonal et qui a saisi celui-ci sans succès. Il doit être formé dans les trente jours après la notification de la décision attaquée.

17. Le Tribunal fédéral jouit d'un libre pouvoir d'examen. Il rend un arrêt de caractère déclaratoire, constatant que telle personne bénéficie ou non du droit de vote, que telle règle de procédure a été violée ou respectée. Le jugement n'a donc pas d'effet direct sur la validité — ou le résultat — des opérations électorales. Mais il pourrait, dans des circonstances extrêmes, avoir des conséquences indirectes, au moment où le Conseil national est appelé à statuer sur l'élection de ses membres.

b. Le recours touchant les élections

18. Suivant une conception sans doute trop rigide et un peu surannée de la séparation des pouvoirs, le Parlement valide lui-même sa propre élection. On dit qu'il «vérifie ses pouvoirs», compétence qui échappe donc entièrement au juge. D'après l'article 53 LDP, le Conseil national doit tenir, aussitôt après l'élection, une «séance constitutive», dont le premier objet est précisément la validation de l'élection. Il suit de là que les recours «touchant les élections» s'adressent également au Conseil national.

19. Tout individu qui avait qualité pour saisir le gouvernement cantonal et qui a succombé en première instance peut saisir le Conseil national, dans les cinq jours qui suivent la notification de la décision. La loi enjoint à la Chambre basse de traiter les contestations en même temps que la validation elle-même, la procédure étant définie par le règlement. Les députés qui sont pourvus d'une attestation idoine de leur gouvernement cantonal sont habilités à prendre séance; ils participent aux délibérations et au vote, sauf s'agissant de leur propre élection; en effet, le membre dont l'élection est contestée doit se retirer durant l'examen du recours.

20. La validation proprement dite a lieu d'office et ne donne généralement lieu à aucune discussion. Quant aux recours, ils sont si rares, qu'ils ne donnent pas naissance à une jurisprudence digne de ce nom. Toutefois, à la suite des dernières élections, le 20 octobre 1995, divers recours ont été adressés au Conseil national, en provenance de quatre cantons; ils ont tous été rejetés, les uns parce qu'ils étaient irrecevables (tardifs ou dépourvus de pertinence), les autres pour des motifs de fond (les irrégularités dénoncées se révélaient mineures et n'étaient pas de nature à influer sur le résultat du scrutin).

II. En matière cantonale

21. Dans les cantons, les élections sont fréquentes et nombreuses: en plus du Parlement, les citoyens désignent directement les membres du Gouvernement, parfois les juges ou les préfets, les députés au Conseil des Etats, Chambre haute du Parlement fédéral. Tous les cantons se divisent en communes, dont les autorités sont également choisies par l'organe de suffrage, presque toujours au premier degré.

22. Les élections cantonales et communales sont sujettes à deux sortes de recours: d'abord auprès d'une autorité cantonale, puis au Tribunal fédéral. Celui-ci ne peut être saisi qu'après épuisement des voies de droit cantonal mises à la disposition du justiciable. Ce n'est donc pas l'autorité politique qui a le dernier mot, mais un organe d'ordre juridictionnel, ce qui favorise la création d'une véritable jurisprudence.

A. Le recours à l'autorité cantonale

23. Il faut quelque peu schématiser pour rendre compte de la variété des vingt-six législations cantonales, sans entrer dans des détails fastidieux. Suivant une tradition solidement établie, la majorité des cantons confie l'ensemble du contentieux électoral à un organe politique: le Parlement, au moins pour ce qui concerne sa propre élection, le Gouvernement dans les autres affaires; ainsi, les causes électorales échappent au juge dans une quinzaine de cantons, dont les plus populeux, comme Zurich, Berne et Vaud. Toutefois, un tiers environ des cantons réserve certaines affaires à un tribunal ou prévoit un recours judiciaire contre les décisions des organes politiques. Enfin, deux cantons ont investi les juges d'une compétence exclusive (à Genève, le Tribunal administratif, dans le Jura, la Cour constitutionnelle).

24. L'objet du recours est largement défini. Il s'étend à toutes les questions qui ont trait au droit de vote et à son exercice, à la préparation de l'élection, à la licéité de la propagande, à la régularité des opérations de vote et à l'exactitude des résultats.

25. La qualité pour agir est reconnue à quiconque détient un intérêt protégé par la constitution et la loi: les citoyens actifs, les partis politiques, parfois même les autorités communales mises en cause.

26. Les délais sont généralement brefs: suivant les cantons, ils vont de trois jours (à Berne) à vingt jours (à Zurich) à partir, soit de la découverte du grief invoqué, soit de la publication du résultat de l'élection dans la feuille officielle.

27. La procédure est écrite, généralement gratuite, simple et rapide. Elle obéit à la maxime officielle, sauf exception. Quand elle se déroule devant un organe politique, elle est réglée par la loi administrative, sinon, par la loi judiciaire. Le mémoire du recourant doit désigner clairement l'acte entrepris; il exposera de manière précise les faits reprochés; la loi exige parfois qu'il rende vraisemblable un rapport de causalité entre l'irrégularité dénoncée et l'issue du vote.

28. La portée du jugement diffère, selon qu'il est rendu avant ou après le scrutin. Dans le premier cas, il sera normalement possible de réparer le vice par des injonctions adéquates. Dans le second, seule l'annulation de l'élection entre en considération, mais elle ne sera prononcée que si, compte tenu des circonstances, il est plausible que le résultat lui-même ait été faussé par les actes jugés illicites.

B. Le recours au Tribunal fédéral

29. Le recours «en matière de votations et élections» trouve sa source à l'article 85, lit. a, de la loi fédérale d'organisation judiciaire. A la différence des autres recours au Tribunal fédéral, il ne repose sur aucune disposition expresse de la Constitution fédérale. Mais il a un fondement implicite à l'article 5 Cst., qui enjoint à la Confédération de garantir les «droits du peuple», ainsi que les constitutions cantonales. Par suite, l'Etat central est chargé de faire respecter la souveraineté populaire et les principes qui en découlent, notamment la régularité et la liberté des élections. Celles-ci, toutefois, sont aménagées par le constituant cantonal, qui jouit à cet égard d'une certaine marge de manoeuvre. C'est dire que les pouvoirs de la juridiction fédérale sont nécessairement restreints: elle veillera, d'un côté, à l'observation des préceptes essentiels de la démocratie, mais elle reconnaîtra aux cantons la latitude qu'implique le fédéralisme.

30. Le recours peut avoir de multiples objets. D'abord, il est loisible aux citoyens de s'en prendre au contenu même des normes cantonales, par exemple, aux limitations du droit de vote, aux règles d'incompatibilité, au partage des sièges entre les circonscriptions électorales ou encore au système de calcul de la représentation proportionnelle. Ensuite, le recourant peut critiquer l'application du droit cantonal par l'autorité d'exécution: ainsi, il contestera l'effet donné à une déclaration d'apparentement qui n'a pas été publiée; le pourvoi est recevable, même s'il conteste la licéité d'une abstention, en prétendant que l'organe cantonal était tenu d'agir. Enfin, le recours est possible, lorsque les actes dénoncés n'émanent pas de la puissance publique, mais de simples particuliers; il arrive, en effet, que des personnes privées parviennent à fausser la libre expression de la volonté populaire, en se livrant à une propagande illégale, en captant les suffrages ou en manipulant les procurations.

31. La qualité pour agir est définie de la même manière que devant l'autorité cantonale. Elle est reconnue aux personnes physiques qui sont — ou prétendent être — citoyens dans le canton (ou la commune) visé par le recours; elles n'ont pas à démontrer qu'elles défendent un intérêt personnel, matériel, actuel et juridiquement protégé, car on admet que chaque ayant droit a une prétention égale à la fidèle exécution des droits démocratiques et à la régularité des élections; dans ce domaine, l'action populaire se justifie, parce que le recourant, par définition, exerce une fonction étatique autant qu'un droit subjectif et défend des intérêts généraux, plutôt que sa situation propre. Quant aux personnes morales, elles sont recevables à condition d'avoir un caractère politique: ou bien elles sont formellement organisées en partis politiques, ou bien elles ont présenté une liste de candidats.

32. Le délai de recours est de trente jours. Il n'est donc pas différent des délais prévus pour les recours ordinaires au Tribunal fédéral, en matière civile, pénale ou constitutionnelle. Il pourrait certes être raccourci, compte tenu des particularités du contentieux électoral, mais une réduction n'aurait guère de sens que si le recours avait un effet suspensif et si le Tribunal fédéral était en mesure de statuer rapidement; or ces deux éléments font généralement défaut, de sorte qu'un mois paraît être un laps de temps raisonnable. Quant au point de départ du délai, il faut distinguer. Lorsque le recours concerne le droit de vote proprement dit, le délai court dès la notification de la décision prise par l'autorité cantonale de dernière instance. Si, par contre, le justiciable s'en prend à une irrégularité touchant à la préparation du scrutin, il doit recourir dans les trente jours après la découverte du vice; pour des raisons qui tiennent à la bonne foi et à la sécurité juridique, le citoyen ne saurait donc attendre le résultat de l'élection. Si enfin le recourant attaque l'exécution de l'élection ou son issue, il agira dans le mois qui suit la publication des résultats dans la feuille officielle du canton.

33. Ces règles doivent toutefois être nuancées. En effet, le recours au Tribunal fédéral est ouvert seulement quand les instances cantonales ont été épuisées. Dans les rares cantons qui instituent un recours judiciaire contre les décisions des autorités politiques, il faut donc commencer par utiliser ce moyen de droit, et le délai court depuis la notification du jugement cantonal.

34. Le recours se présente sous la forme d'un mémoire circonstancié, qui expose les faits et développe une argumentation juridique. Les motifs avancés se fondent avant tout sur la constitution et la loi cantonales, qui décrivent en détail les formalités à suivre. Mais ils peuvent aussi se déduire des prescriptions de la Constitution fédérale sur l'égalité de traitement (art. 4) ou le droit de vote (art. 43) ou encore des principes généraux (liberté des électeurs, licéité de la propagande). Le Tribunal fédéral n'examine que les moyens expressément soulevés et solidement étayés; l'adage jura novit curia ne s'applique pas ici, parce que le juge constitutionnel n'est pas responsable au premier chef de la légalité des élections locales.

35. Le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral est libre, chaque fois qu'il s'agit d'appliquer les dispositions constitutionnelles ou légales qui sont en étroit rapport avec le droit de vote et les élections elles-mêmes. Font exception les griefs qui n'ont pas de lien direct avec le contenu des droits politiques, de même que les questions relatives au principe d'égalité; ainsi, le Tribunal fédéral a réduit à l'arbitraire sa cognition sur la répartition des sièges parlementaires entre les circonscriptions électorales; cette retenue s'expliquait certes par des considérations fédéralistes, mais elle a été critiquée, non sans raison, car il serait permis de soutenir que le principe «one man, one vote» devrait prévaloir sur l'autonomie des cantons et mériterait d'être appliqué strictement par le juge.

36. Le jugement n'est ni constitutif ni déclaratoire. Il a donc en principe une nature cassatoire. S'il porte sur le droit de vote, il annule la décision attaquée. S'il concerne une élection, celle-ci peut être rendue caduque, mais seulement si l'irrégularité constatée a eu vraisemblablement une influence décisive sur le résultat lui-même; une élection peut être annulée en partie, l'opération devant être répétée pour certains sièges ou dans une circonscription déterminée. Dans tous les cas, quand le recours est admis, l'affaire est renvoyée à l'autorité cantonale compétente, afin qu'elle prenne une nouvelle décision, conforme à l'arrêt fédéral.

CONCLUSIONS

37. Petit pays, la Suisse a cependant des institutions d'une grande complexité, laquelle s'observe notamment dans le contentieux électoral. Il ne serait donc guère utile de parler de la juridiction de la Cour constitutionnelle sans évoquer le rôle des autres organes appelés à statuer sur le droit de vote et la validité des élections. Le tableau d'ensemble montre qu'à cet égard, les autorités politiques et judiciaires se partagent le pouvoir. C'est dire que le Tribunal fédéral suisse, qui est pourtant le juge suprême en matière constitutionnelle, a une compétence limitée, qui en particulier ne s'étend pas aux élections nationales.

38. Il faut le souligner une fois encore, les contestations ne sont pas fréquentes. Aussi la jurisprudence n'a-t-elle qu'un aspect fragmentaire. Pour l'essentiel, elle se contente d'énoncer quelques principes qui n'ont d'ailleurs rien d'original et dont l'application ne rencontre pas de difficultés particulières. Quel que soit le système, l'élection n'a de sens que si son résultat reflète, d'une manière indubitable, la volonté réelle du peuple. De ce truisme résulte une double maxime: la liberté des votants, d'une part, et de l'autre, la sécurité du vote. Des exigences spéciales valent pour les différents types d'opérations électorales. Un survol rapide de la pratique récente permet d'illustrer ces idées.

39. La liberté de vote implique que les citoyens se forment leur propre opinion, à l'abri de toute influence étatique. Il suit de là que les organes officiels n'ont pas la faculté d'intervenir, en tant que tels, dans la campagne électorale; cette règle subit parfois des exceptions, par exemple lorsqu'il s'agit d'élections judiciaires, ou scolaires; mais l'autorité est toujours tenue de donner des informations objectives, qui ne sont pas de nature à induire leurs destinataires en erreur. De surcroît, il n'est certes pas interdit à la collectivité d'aider les partis politiques en prenant à sa charge les frais d'impression et d'envoi des listes de candidats. Ce financement peut être limité aux formations qui obtiennent un minimum de voix; mais l'égalité de traitement doit être respectée, et le remboursement ne saurait être refusé à un parti qui a obtenu 1,92% des suffrages.

40. La sécurité des opérations peut être menacée lors du vote par procuration ou par correspondance; le secret mérite assurément d'être préservé, mais la procédure doit également permettre d'identifier les votants, de manière qu'un contrôle efficace demeure possible, car il convient d'éviter que la même personne dépose plusieurs bulletins ou qu'elle s'exprime sans détenir les droits civiques.

41. Lorsque les citoyens se réunissent en assemblée générale (Landsgemeinde), il faut veiller à ce que l'accès demeure libre en tout temps et que le résultat proclamé corresponde à la volonté véritable de la majorité. Si l'élection a lieu suivant le principe de la représentation proportionnelle, l'égalité de traitement doit être respectée, tant par les règles sur le cumul et le panachage que par la délimitation des circonscriptions, les conséquences de l'apparentement ou enfin les élections complémentaires.

42. En Suisse, les élections sont nombreuses et fréquentes, puisque l'Etat fédératif compte vingt-six cantons, divisés en plusieurs milliers de communes, et que toutes ces collectivités sont administrées par des autorités directement élues. Mais les contestations sont si rares, qu'en moyenne le Tribunal fédéral ne publie pas plus d'un arrêt par an sur le sujet. Celui-ci intéresse la science, plus que les justiciables.