LE CONTROLE DES ELECTIONS POLITIQUES NATIONALES

par Dominique Rousseau,
Membre de l’Institut Universitaire de France,
Professeur à l’Université de Montpellier I

  

En 1958, le Conseil constitutionnel s'est vu confier le contrôle de trois grandes consultations politiques nationales : l'élection des parlementaires, l'élection du Président de la République, et le référendum. Ses pouvoirs varient cependant selon le type de consultation; pour les élections législatives et sénatoriales, son rôle est exclusivement contentieux (section 1); pour les deux autres scrutins, son rôle est plus large, puisqu'il inclut la surveillance de la régularité des opérations et la proclamation des résultats (section 2).

 

SECTION I
LE CONTROLE DES ELECTIONS PARLEMENTAIRES

 

Avant 1958, le contrôle de la régularité de l'élection des députés et des sénateurs était confié à leur assemblée respective. Ce contrôle interne, fondé sur la tradition parlementaire de la souveraineté des assemblées, ayant donné lieu à maints abus et autres manipulations ou « arrangements » entre partis politiques, le constituant de 1958, décide, en réaction contre ces pratiques, d'établir un contrôle extérieur au Parlement, en attribuant le contentieux des élections parlementaires au Conseil constitutionnel. Ce dernier exerce, là, une fonction clairement juridictionnelle dont le régime se distingue de celui du contrôle de la constitutionnalité des lois (§1) et dont l'exercice depuis trente ans permet de proposer un bilan critique (§ 2).

 

§ 1. LA SPECIFICITE DU REGIME CONTENTIEUX
DES ELECTIONS PARLEMENTAIRES

 

Cette spécificité porte à la fois sur la procédure (A) et sur la nature des pouvoirs du Conseil (B), et s'explique par le caractère clairement juridictionnel de sa mission.

 

A. LES CARACTERISTIQUES DE LA PROCEDURE CONTENTIEUSE

 

1. Les caractéristiques tenant à la requête

La contestation de l'élection d'un député ou d'un sénateur est ouverte à deux catégories de personnes : celles qui sont électeurs dans la circonscription et celles qui ont fait acte de candidature. Ne peuvent donc pas saisir le Conseil, les partis ou groupements politiques, même Si la personne agissant en leur nom est inscrite sur les listes électorales ou candidate dans la circonscription où a eu lieu l'élection contestée, une association, ou le représentant de l’Etat dans le département. Si le requérant est un électeur, le Conseil vérifie s'il est inscrit sur la liste électorale de la circonscription dans laquelle il a été procédé à l'élection et refuse, par exemple, une requête déposée par une personne qui, disposant du droit à être inscrit sur la liste électorale, ne s'y est pas effectivement inscrite. Si le requérant est un candidat, le Conseil vérifie la réalité de la candidature, et refuse, par exemple, une requête formée par une personne ayant simplement demandé à la préfecture « les formulaires légaux à remplir concernant l'élection »; il admet cependant le recours d'une personne dont la candidature n'a pas été enregistrée, car ce refus peut être une cause de l'irrégularité de l'élection; pour le reste, tout candidat enregistré, suppléant ou titulaire, présent ou non au second tour peut saisir le Conseil.

Ce droit de saisine est enfermé dans un délai strict fixé par l'article 33 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, « dans les dix jours qui suivent la proclamation du scrutin ». Aussi, le Conseil déclare irrecevable les requêtes dirigées contre les opérations électorales du premier tour, lorsqu'elles n'ont pas donné lieu à l'élection d'un candidat , formulées après la clôture du scrutin mais avant la proclamation officielle des résultats de l'élection, ou déposées après l'expiration du délai de dix jours francs . Le Conseil a également étendu cette condition de délai au contenu des requêtes : après l'expiration du délai de dix jours, le requérant ne peut pas présenter des moyens nouveaux et distincts de ceux de son recours initial; il peut seulement préciser ou développer la portée de griefs initialement invoqués.

Formellement, la requête peut être adressée directement au Conseil, ou au Préfet ou chef du territoire qui la transmettent ensuite à Paris; sont donc déclarées irrecevables par le Conseil, celles envoyées au Président du collège électoral sénatorial, au président de l'Assemblée nationaleou au président de la commission générale de recensement des votes. Le recours est également irrecevable pour des raisons de forme, s'il n'est pas signé ou ne contient pas « l'exposé des faits et moyens invoqués contre la régularité de l'élection ». Dernière condition, la requête doit avoir pour unique objet de contester l'élection d'un député ou d'un sénateur. Le requérant doit donc rédiger avec une grande précision ses conclusions, car le Conseil refuse celles qui visent l'ensemble des élections, l'ensemble des élus d'un partiou les élections dans une ville: il faut que la contestation porte sur une élection précise, que le non de l'élu dont l'élection est contestée ou la circonscription soient clairement désignés par le requérant. Il faut aussi qu'elle demande, pour être recevable, l'annulation des résultats de l'élection et non simplement une rectification du nombre des voies obtenues par certains candidats. Le Conseil admet cependant que la requête ait pour objet la contestation du décret de convocation ou une demande de remboursement des frais de propagande à condition qu'ils viennent à l'appui de l'objet principal, la contestation d'une élection dans une circonscription déterminée, et pour la seconde hypothèse, que la validation des bulletins annulés à tort par la commission de recensement permette au candidat-requérant d'atteindre 5 % du nombre des suffrages exprimés.

 

2. Le caractère contradictoire de la procédure

En matière de contentieux électoral, la procédure devant le Conseil est écrite et contradictoire: l'élu contesté, ou son avocat, produit un mémoire en réponse aux arguments du requérant; ce dernier, ou son avocat, réplique par de nouvelles observations, la durée de ces échanges étant fixée par le secrétaire général du Conseil.

Chaque partie a ainsi accès, pendant toute l'instruction, à l'ensemble du dossier, y compris, depuis 1973, aux observations produites par le Ministère de l’intérieur. La procédure comporte aussi une possibilité d'intervention directe du Conseil. En effet, à la demande d'une des parties ou de sa propre initiative, le Conseil ou la section peut ordonner une enquête ou procéder sur place à des mesures d’instruction. Confiées à un rapporteur, elles peuvent avoir un objet général, par exemple s'informer sur le déroulement des opérations électorales dans la circonscription en cause, ou plus précis, par exemple rechercher les conditions d'établissement des procurations dressées dans une des communes de la circonscription. Enquêtes et mesures d'instruction font l'objet de procès-verbaux communiqués aux parties, qui disposent d'un délai de trois jours pour adresser au Conseil, et par écrit, leurs observations. Enfin, la procédure contentieuse peut être à tout moment arrêtée, Si le requérant renonce à son action; il lui est alors « donné acte » de son désistement. Le Conseil vérifie cependant que « rien ne s'y oppose », formule qui n'induit pas la possibilité pour lui de refuser une demande de désistement, mais seulement de s'assurer de la clarté de l'intention du requérant: ainsi, la non-production d'un mémoire en réplique à celui adressé par l'élu contesté ne suffit pas pour conclure au désistement du requérant.

Une fois le débat contradictoire écrit terminé, le Président désigne, pour chaque affaire, un rapporteur parmi les membres du Conseil ou, et en pratique il en est toujours ainsi, parmi les rapporteurs-adjoints. Ces derniers, au nombre de dix, sont des maîtres des requêtes au Conseil d’Etat et des conseillers référendaires à la Cour des Comptes nommés par le Président du Conseil, « en application de la délibération du Conseil ». Leur rôle est d'apprécier le dossier afin de proposer une décision à la section. En effet pour le contentieux électoral uniquement, le Conseil est divisé en trois sections entre lesquelles le Président repartit les affaires pour qu'elles les examinent avant leur jugement en séance plénière. Chacune de ces sections comprend trois conseillers, désignés par un tirage au sort séparé entre les trois catégories de membres nommés. Leur rôle est, après avoir entendu le rapporteur, d'adopter un projet de décision, soit sur le fond de l'affaire, soit sur la nécessité de mesures complémentaires d'instruction ou d'enquêtes. Le président peut alors réunir le Conseil pour que soit prise après nouvelle audition du rapporteur-adjoint la décision définitive, l'assemblée plénière disposant évidemment de la liberté de suivre ou non le projet élaboré par la section. En use-t-elle? Des contradictions de jugement apparaissent-elles entre la section et le Conseil? Sauf à être indiscret, il est impossible de le dire car leurs séances ne sont pas publiques. Le Conseil dans sa décision du 8 novembre 1988 a rappelé avec force la règle de la non-publicité de l'audience en affirmant qu'elle « n'est pas contraire à l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme qui ne concerne que le contentieux pénal et le jugement des contestations sur les droits et obligations de caractère civil et qu 'il n 'existe aucun principe général du droit prescrivant la publicité des débats en toute matière et devant toute juridiction ». A défaut d’entendre, il faut, pour l’instant, sous-entendre !

 

B. LES POUVOIRS DE CONTROLE DU CONSEIL

 

1. Le Conseil, juge de l'élection

L'article 44 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 donne au Conseil, statuant en matière électorale, « compétence pour connaître de toute question et exception posée à l'occasion de la requête ». Malgré la généralité de la formule, le Conseil se considère uniquement et strictement comme juge de l'élection. Ainsi, il rappelle régulièrement qu'il ne lui appartient pas, lorsqu'il se prononce en qualité de juge de l'élection en vertu de l'article 59 de la Constitution, d'apprécier, par voie d'exception, la constitutionnalité d'une loi. Il justifie cette incompétence par la différence entre les deux types de contrôle, celui de la loi s'exerçant selon des modalités avant la promulgation et dans des cas définis précisément à l'article 61 de la Constitution. Mais le Conseil aurait pu fort bien s'appuyer sur la rédaction de l'ordonnance de 1958, « toute exception », pour se déclarer compétent à statuer lors d'un recours électoral, sur une exception d'inconstitutionnalité de la loi. En revanche, le Conseil argue de sa qualité de juge de l'élection pour apprécier ce qu'il refuse de faire comme « juge de la loi », la conformité d'une loi à un traité. En effet, dans une décision du 21 octobre 1988, il accepte d’examiner, et déclare compatible, les dispositions de la loi du 11 juillet 1986 rétablissant le scrutin majoritaire avec celles du Protocole n0 1 de la Convention de Rome aux termes desquelles « les hautes parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion des peuples sur le choix du corps législatif ».

Cette différence d'attitude, apparemment surprenante, se comprend par la différence de situation du Conseil lorsqu'il statue comme juge de l'élection: il n'est plus juge de la constitutionnalité de la loi, mais juge de l'application de la loi; il se trouve donc dans la même situation que les juges ordinaires, administratif et judiciaire, et peu ainsi comme eux, écarter l’application d’une loi contraire à une convention internationale.

Toujours parce qu'il est seulement juge de l'élection, le Conseil s'est déclaré incompétent « pour se prononcer, même par voie d'exception, sur la conformité à la Constitution de la déclaration » faite par le Président de la République à la veille du premier tour des élections législatives de 1967 et après la clôture officielle de la campagne électorale. Décision au demeurant critiquable dans la mesure où la question soulevée n'était pas celle de la constitutionnalité de l'intervention présidentielle, mais de son influence - pression, manoeuvres - sur la régularité des opérations électorales.

Enfin, le contrôle de la régularité des textes organisant les élections entre-t-il dans la compétence du Conseil, juge de l'élection? Les réponses jurisprudentielles ne manquent pas de subtilité. En effet, s'il se considère incompétent pour contrôler le décret prononçant la dissolution de l'Assemblée nationale, il accepte, depuis 1981, d'apprécier le décret portant convocation des électeurs après dissolution de l'Assemblée et fixant le déroulement des opérations électorales, que la contestation de la régularité de ce décret soit faite avant les élections et en dehors de tout recours contre l'élection d'un députéou soit soulevée à l'appui de la contestation d'une élection dans une circonscription déterminée. Il est difficile de trouver une raison à cette différence de régime entre les deux types de décrets alors que la régularité de l'un et l'autre conditionne la régularité des élections que le Conseil a mission de contrôler; peut-être la volonté ou le souci du Conseil de ne pas intervenir sur une décision éminemment politique, la dissolution mettant directement aux prises l'opposition et le Chef de l'Etat, afin de mieux préserver sa propre autorité.

Mais, s'il est seulement juge de l'élection, le Conseil est le seul juge de l'élection. Il a rappelé fermement ce principe dans sa décision du 31 juillet 1991 en considérant que l'examen des comptes de campagne d'un candidat par la commission nationale chargée de les vérifier « ne saurait préjuger la décision du Conseil, juge de la régularité de l'élection en vertu de l'article 59 de la Constitution ». Et faisant application de ce principe en l'espèce, il a redressé l'évaluation de la commission en intégrant dans les dépenses de campagne d'un candidat le coût de deux sondages d'opinion commandés par son parti.

 

2. Le Conseil, juge partiel des opérations préalables

Dans des conditions rendues complexes par les textes, le Conseil dispose également de pouvoirs particuliers à l'égard des opérations préalables aux élections parlementaires.

S'agissant d'abord de l'établissement des listes électorales pour les élections législatives, le code électoral décide que son contrôle est de la responsabilité des tribunaux d'instance. Le Conseil repousse donc tout recours ou tout moyen d'une requête contestant un refus d'inscription, une radiation ou une omission. Mais, il accepte d'en connaître et se déclare compétent dès lors que les irrégularités commises dans l'établissement de la liste sont les résultats de pressions sur les électeurs - pour les dissuader de s'inscrire, les inciter à se faire radier, - ou de manoeuvres frauduleuses de nature à modifier les résultats du scrutin ou à porter atteinte à sa sincérité. Il a ainsi annulé une élection au motif que certains électeurs, les Français établis hors de France, avaient été inscrits sur la liste électorale par des tiers.

S'agissant ensuite de l'établissement du tableau des électeurs sénatoriaux, il est placé sous le contrôle du tribunal administratif dont les décisions peuvent être contestées devant le Conseil constitutionnel à l'appui d'un recours dirigé contre l'élection d'un sénateur; en conséquence, le Conseil refuse d'apprécier le moyen tiré de l'irrégularité du tableau des électeurs sénatoriaux, si le requérant ne l'a pas préalablement contesté devant le tribunal administratif.

S'agissant enfin de l'enregistrement des candidatures, le régime contentieux est encore plus compliqué: les candidatures sont déclarées à la Préfecture du département qui dispose, en cas de doute sur l'éligibilité du candidat, d'un délai de 24 heures pour saisir le Tribunal administratif; ce dernier doit alors statuer dans les 3 jours et sa décision ne peut être contestée que devant le Conseil Constitutionnel saisi de l'élection. Ce mécanisme implique que le Conseil est juge d'appel des décisions du Tribunal administratif: il vérifie par exemple si le juge administratif a été saisi par le préfet, seule autorité habilitée à demander le non-enregistrement d'une candidature, et annule en conséquence les décisions prises sur requête d'un particulier; s'il a été saisi dans les délais et s'il a rendu sa décision dans les 3 jours impartis par le Code électoral; L'appel n'est cependant ni automatique, ni immédiat. En effet, le requérant mécontent de la décision du Tribunal administratif ne peut saisir immédiatement le Conseil; il doit attendre le déroulement du scrutin et la proclamation des résultats pour pouvoir la contester à l'appui d'une requête contre l'élection d'un député.

Par l'effet de ce système compliqué de contrôle, le Conseil se trouve donc, au bout de cette chaîne, juge de l'éligibilité des candidats. Si conformément à la tradition, il interprète de manière restrictive les textes relatifs aux inéligibilités il retient notamment l'âge la perte des droits électoraux et la non-inscription sur les listes électorales comme causes d'inéligibilité. Surtout, le Conseil considère que l'inéligibilité du remplaçant entraîne celle du titulaire et en conséquence, s'il est élu, l'annulation de son élection; de même le Conseil a jugé inéligible le remplaçant d'un député déjà remplaçant d'un sénateur et a annulé l'élection.

Ainsi définie la spécificité du contentieux électoral, quelle est la politique de contrôle adoptée par le Conseil ?

 

§ 2. LA POLITIQUE DE CONTROLE DU CONSEIL

 

Le premier travail du Conseil consiste à qualifier les faits et actes qui ont pu entacher la régularité de l'élection: ici, les décisions font apparaître l'importance et la diversité des irrégularités commises (A). Le second travail du Conseil consiste à décider Si ces irrégularités ont pu modifier les résultats du scrutin, justifiant en conséquence l'annulation de l'élection: là, les conditions mises pour prononcer une invalidation dessinent une politique jurisprudentielle très, trop prudente (B).

 

A. LES FAITS CONSTITUTIFS D’IRREGULARITES

 

1. Les faits de propagande

La richesse des irrégularités de propagande est insoupçonnable ! Elles peuvent porter sur les affiches et être constituées par la combinaison des trois couleurs bleu, blanc, rouge interdite par le Code électoral, par leur dimension ne respectant pas les limites réglementaires , par leur apposition hors des panneaux spécialement réservés à cet effet ou après la clôture de la campagne électorale, par leur contenu mensonger ou diffamatoire Les irrégularités peuvent aussi porter sur les tracts et être constituées par leur contenu injurieux ou relatant des accusations d'ordre personnel, par leur non-signature ou par leur mode de diffusion massif, la veille ou le matin même du scrutin.

Peuvent encore constituer des faits de propagande irréguliers des circulaires ou des lettres adressées aux électeurs ou à différentes catégories d'électeurs par le candidat usant d'une autre de ses qualités, maire, président d'une association, ou par des responsables d'organismes - office d'H.L.M.. Sont également assimilées à ces pratiques irrégulières, la publication et la distribution gratuite de journaux électoraux; en revanche, les organes de presse sont libres de rendre compte de la campagne électorale des différents candidats comme de prendre position en faveur de l'un d'eux. Des reportages télévisés partisans ou polémiques, des propos tenus lors d'une émission de variétes en particulier la veille du scrutin, peuvent aussi être considérés par le Conseil comme des irrégularités.

La campagne électorale est souvent le moment où certaines personnes, certaines autorités officielles utilisent leurs titres ou leur fonction pour faire pression sur les électeurs et chercher à influencer leur vote. Le Conseil relève ainsi régulièrement l'utilisation par un maire des moyens de l'administration communale en faveur d'un candidat, l'intervention du clergé sur les fidèles les pressions administratives sur des catégories d'électeurs ou la publication par un candidat de lettres de soutien adressées par des membres du gouvernement.

La campagne électorale est enfin ce moment privilégié de la vie politique où les candidats se croient tout permis, et notamment la diffusion de fausses informations sur leurs adversaires pour tromper le corps électoral et attirer sur leur nom le maximum de suffrages. Par exemple: l'annonce, fausse, de la mort du remplaçant d'un candidat; l'utilisation par un candidat du sigle d'un parti dont il a été exclu; l'invocation par un candidat du soutien d'un de ses concurrents du premier tour, alors que celui-ci s'est simplement retiré ou a été éliminé pour n'avoir pas recueilli le nombre de suffrages nécessaires pour figurer au second tour

La liste de ces faits de propagande irréguliers s'allonge à chaque consultation électorale et se complète par celle des irrégularités dans les opérations même de vote!

 

2. L'organisation des opérations électorales

Parmi les irrégularités portant sur l'organisation du scrutin, le Conseil relève, par exemple, celles relatives à la composition des bureaux de vote quand leur présidence est assurée par un électeur et non par un adjoint ou un conseiller municipal auxquels cette fonction revient de droit; celles relatives à l'ouverture anticipée ou tardive des bureaux de vote ou à leur fermeture anticipée; celles qui ont pour objet d'empêcher les assesseurs ou les délégués d'un candidat d'exercer normalement la surveillance et le contrôle du scrutin.

Dans le déroulement du scrutin, les irrégularités peuvent être constituées par l’absence des bulletins au nom de certains candidats, par la dimension ou la couleur des bulletins, ou des enveloppes, par un libellé inexact - « député sortant », ou par l'absence d'isoloir, par l'absence de contrôle de l'identité des électeurs, par des listes d'émargement non signées par des membres du bureau ou mal rédigées. Pour les modalités particulières de vote, les irrégularités concernent essentiellement aujourd'hui le vote par procuration, soit que les attestations, justifications ou volets de procuration manquent, soit que les procurations aient été établies au domicile des électeurs ou dans des établissements hospitaliers soit qu'elles soient rédigées en blanc ou non signées.

Enfin, les irrégularités peuvent porter sur les opérations de dépouillement: elles ont eu lieu à huis-clos, ou sans que les électeurs aient été à même de circuler librement autour des tables, ou avant que le décompte des émargements ait été opéré; les feuilles de dépouillement ne sont pas signées; des pièces annexes - procès verbaux, bulletins nuls et enveloppes vides - manquent ou sont incomplètes des erreurs de recensement ont été commises, certains bulletins ayant été validés ou écartés à tort.

Là encore, la liste n’est ni exhaustive ni close ! Par ailleurs, Si tous ces faits constituent selon le Conseil, des irrégularités, tous n'ont pas pour conséquence automatique l'annulation de l'élection. Le Conseil exige aussi certaines « qualités » aux irrégularités constatées.

 

B. LES IRREGULARITES DONNANT LIEU A L'ANNULATION DE L’ELECTION

 

1. La gravité de l'irrégularité et la faiblesse de l'écart de voix

Le Conseil exige d'abord, pour conclure à l'annulation de l'élection, que l'irrégularité soit d'une gravité telle qu'elle ait porté atteinte à la liberté ou à la sincérité du scrutin en ayant eu une influence déterminante sur les résultats de l'élection. La gravité se mesure au regard de l'importance, de la diversité et de la multiplicité des irrégularités commises. Ainsi, en 1988, le Conseil a annulé une élection pour cumul d'irrégularités dans l'établissement de procuration: des centaines rédigées au commissariat de police de l'arrondissement de Marseille dont le maire est candidat, d'autres centaines au domicile des électeurs et dans les établissements de soins, d'autres encore établies sans justification; au total, près de huit cents procurations irrégulières. Il a annulé également une élection pour des irrégularités commises dans l'organisation du scrutin - trois urnes dans un bureau de vote - et dans les opérations de dépouillement - électeurs et représentant d'un candidat empêchés de circuler librement autour des tables.

Sont encore qualifiées de graves, les irrégularités qui privent le Conseil de la possibilité de vérifier la sincérité des résultats du vote, soit parce que des documents essentiels comme la liste d'émargement manquent au dossier, soit par le nombre d'incorrections dans la rédaction des feuilles de dépouillement ou des procès-verbaux soit tout simplement par les multiplicités des irrégularités.

Mais surtout, l'élément qui détermine le Conseil à annuler ou non une élection est l'écart des voix entre le candidat battu et l'élu. Quel que soit l'objet des irrégularités, pressions, tracts mensongers ou diffamatoires, erreur de recensement des votes, procurations mal établies, quel que soit même leur importance, elles n'entraînent pas l'annulation de l'élection si un écart de voix important sépare le candidat élu de son adversaire, ou plus généralement, si ces irrégularités sont jugées par le Conseil n'avoir pas eu d'influence déterminante sur le résultat de l'élection. En revanche, la combinaison d'irrégularités graves et d'un faible écart de voix entre le candidat élu et son concurrent, entraîne l'annulation de l'élection. La faiblesse de l'écart de voix ne suffit pas, en effet, à elle seule pour invalider une élection, si aucune irrégularité sérieuse n'a été commise: le Conseil rejette ainsi la contestation d'une élection acquise par 39 voix d'avance seulement au motif que les quelques irrégularités matérielles de recensement constatées - qui ramènent pourtant cette avance à 13 voix - ne sauraient avoir influé sur les résultats du scrutin.

En définitive, les divers faits de propagande et les irrégularités commises dans les différentes phrases de l'opération électorale n'entraînent l'annulation de l'élection qu'en raison de leur gravité et de la faiblesse de l'écart des voix séparant les candidats. Mais il n’est jamais précisé ou simplement dit à partir de quel seuil un ensemble d'irrégularités devient grave, à partir de quel chiffre un écart est considéré faible : 100, 200, 300? Autant dire que le Conseil dispose d'un large pouvoir d'appréciation dont l'exercice laisse toujours une impression, un sentiment d'insatisfaction voire de malaise.

 

2. Pour un contrôle plus ferme des irrégularités électorales

Après chaque règlement du contentieux électoral, le Conseil est accusé de s'être comporté en juge politique. Tel parti, de la majorité ou de l'opposition, juge scandaleuse l'invalidation d'un de ses élus; tel autre estime incompréhensible la confirmation de l'élection de son adversaire; mais tous sont d'accord pour considérer que le Conseil s'est prononcé davantage en fonction de raisons politiques qu'en fonction de considérations juridiques. Et le relatif équilibre des annulations autant à droite qu'à gauche - loin de diminuer les critiques, les alimente ! Pour apprécier la valeur de ces attaques, il faut sans doute faire leur part à la logique des prises de position partisanes, et plus simplement, au « droit », pour un candidat victime de la décision, de maudire ses juges. Mais il faut aussi reconnaître que la manière dont le Conseil exerce son contrôle n'est pas entièrement satisfaisante.

Il fait d'abord peser sur le requérant la charge de la preuve des irrégularités, alors qu'il lui est souvent difficile sinon impossible de les établir avec précision. Comment, par exemple, prouver les manoeuvres ou pressions exercées sur les pensionnaires d'une maison de retraite, l'ampleur de la distribution d'un tract diffamatoire? Dans la plupart des cas, le requérant ne peut faire état que de présomptions de fraude ou d'éléments d'information partiels, et le Conseil rejette alors le recours pour défaut de preuve, ou manque de précision. Cette dureté de procédure est encore renforcée par le refus du Conseil de considérer des irrégularités établies, lorsque leurs preuves ne sont apportées que par les assesseurs ou les délégués du candidat auteur de la requête.

Le sentiment de malaise et les critiques à l'égard de la jurisprudence électorale se nourrissent surtout du nombre important de décisions par lesquelles le Conseil confirme une élection, tout en reconnaissant expressément que les irrégularités sont « regrettables », « critiquables » « condamnables », « répréhensibles » ou « appellent une particulière réprobation ». Dans la décision du 23 novembre 1988 par exemple, le Conseil constate que dans huit bureaux de vote, des irrégularités ont été « sciemment commises », qu'elles « révèlent un comportement frauduleux », qu'elles portent sur 2 851 voix à retrancher en conséquence au candidat élu; et pourtant il validées l'élection car « ces irrégularités ne peuvent affecter les résultats, eu égard à l'ampleur de l'écart des voix séparant les candidats ».

Que l'ampleur d'une victoire « blanchisse » de telles irrégularités conduit très vite l'opinion et les candidats - à considérer que plus la fraude est importante, plus elle est productive de voix, et plus l'élu se met à l'abri d'une annulation de son élection ! Comment ne pas être tenté de qualifier de subjectives voire d'arbitraires ou politiques les affirmations du Conseil selon lesquelles la diffusion de tracts au contenu injurieux, diffamatoire ou mensonger n'a pas influencé les résultats et la sincérité du scrutin! Le faible écart des voix peut-il vraiment tout absoudre et l'argument n'est-il pas un encouragement à frauder massivement?

Sans doute peu d'élections serait validé Si le Conseil annulait pour abus de propagande, affichage sauvage, matraquage publicitaire ou distribution de tracts pourtant expressément interdite par l'article L. 65 du Code électoral. Sans doute beaucoup font observer que les électeurs désavouent souvent le Conseil en réélisant le député dont il a annulé l'élection. Il n'en reste pas moins que le Conseil pourrait faire évoluer sa politique jurisprudentielle vers plus de rigueur sinon plus de sévérité. Des élections « truquées » sapent le fondement de la démocratie; des élections contrôlées le renforcent. Et dans sa décision du 11 janvier 1990, le Conseil ne s'est-il pas érigé en gardien vigilant des fondements de la démocratie?

Une première voie consisterait pour le Conseil à exercer son contrôle « dans l'intérêt des électeurs » alors qu'«il donne trop souvent l'impression », comme le remarque justement François Luchaire, de ne voir dans le contentieux électoral que des conflits entre deux personnes, l'élu et son concurrent le plus immédiat ». Sont ainsi particulièrement choquantes les décisions par lesquelles le Conseil, constatant que des irrégularités graves ont été commises par les deux candidats, décide qu'elles s'annulent mais ne constituent pas une cause d'annulation de l'élection.

Dans sa décision du 11 mai 1989, il considère que si M. Tapie a dépassé le plafond des dépenses autorisé par la loi, son concurrent M. Teissier a également effectué « des dépenses de même nature et d'une importance comparable à celle de M. Tapie » et qu'en conséquence la méconnaissance réciproque des dispositions législatives « n'a pas eu pour effet de porter atteinte à la liberté de choix des électeurs ou à la sincérité du scrutin ». Parce qu'elle est partagée, la faute est-elle moins condamnable ? N'est-ce pas un encouragement à des « accords de fraude » entre les candidats ? Renvoyer dos à dos les candidats, n'est-ce pas oublier l'intérêt des électeurs à voir se dérouler les élections conformément aux prescriptions légales et réglementaires ?

Une autre voie consisterait pour le Conseil à mieux et davantage utiliser son pouvoir d'ordonner des mesures d'instruction en confiant à ses rapporteurs le soin de mener les enquêtes locales et en exigeant des administrations qu'elles fournissent tous les documents et informations dont elles disposent, dès lors que le requérant aurait apporté un commencement de preuve, des éléments de faits ou des allégations. Ainsi ce dernier ne supporterait-il plus la lourde charge de la preuve.

Ces inflexions jurisprudentielles, et quelques autres encore, permettraient au Conseil d'exercer un contrôle plus ferme sans pour autant entamer son caractère nécessairement pragmatique. Il faut certainement l'y encourager, car en démocratie, la régularité des élections comporte un enjeu fondamental et même vital: le maintien de la croyance en la vertu de la légitimité démocratique.

 

SECTION II
LE CONTROLE DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE
ET DU REFERENDUM

 

Pour l'élection présidentielle et le référendum, le rôle du Conseil est plus large puisqu'il possède des attributions consultatives et juridictionnelles et qu'il intervient non seulement après le scrutin, mais aussi avant et pendant. Malgré ces ressemblances générales, le dispositif de contrôle de l'une (§1) et l'autre (§ 2) consultation possède des particularités qui justifient leur présentation séparée.

 

§ 1. LE CONTROLE DE L'ELECTION PRESIDENTIELLE

Le contrôle du Conseil porte à la fois sur les actes préparatoires à l'élection présidentielle (A) et sur le déroulement du scrutin et les contestations des opérations électorales (B).

 

 

A. LE CONTROLE DES ACTES PREPARATOIRES A L’ELECTION PRESIDENTIELLE

 

1. Le contrôle de l'établissement de la liste des candidats

La liste des candidats à l'élection présidentielle est établie par le Conseil après qu'il ait vérifié que chacun des prétendants remplit effectivement les conditions définies par la loi.

Ainsi, le Conseil examine si les candidatures respectent les conditions de présentation exigées par les textes. A ce titre, il vérifie que la présentation est faite par une personne ayant qualité pour présenter valablement un candidat: membre du parlement, des conseils régionaux, des conseils généraux, du Conseil de Paris, des assemblées territoriales des T.O.M., maires ou membres élus du Conseil Supérieur des Français à l'étranger.

Appréciant la qualité du présentateur au jour où la présentation lui parvient, le Conseil écarte celle adressée le 17 mars 1988 par un maire dont la démission avait été acceptée par le Préfet le 9 mars: en revanche, il maintient la validité de la présentation d'un maire qui, ultérieurement au dépôt de la présentation, démissionne ou décède. J’écarte également toute présentation qui est faite par une personne n'en ayant pas le droit ou ne peut être regardée comme ayant un caractère authentique ou n'est pas rédigée sur les formulaires officiels, ou qui parvient au Conseil avant ou après les délais légaux. Le Conseil a hésité sur les conséquences à tirer d'une présentation de deux candidats différents par une même personne: en 1969, il a considéré que la première chronologiquement pouvait être prise en compte. En 1974, il a déclaré que les deux présentations « devaient être tenues pour non valables ». Aujourd'hui, il est revenu à la jurisprudence de 1969.

Le Conseil vérifie encore si chaque candidat dispose effectivement des 500 signatures exigées par la loi et « si, parmi les signataires, figurent les élus d'au moins trente départements ou territoires d'outre-mer sans que plus du dixième d'entre eux puissent être les élus d'un même département ou territoire d'outre-mer ».

Le Conseil s'assure enfin que la personne présentée consent bien à être candidate, qu'elle a versé la caution de 10.000 F et qu'elle est éligible. En 1974, il a ainsi déclaré inéligible une personne privée de son droit de vote pour cause de faillite personnelle prononcée par le Tribunal de Commerce; mais en 1969, il a considéré qu’accomplir ses obligations militaires n'empêchait pas Alain Krivine d'être candidat.

Toutes ces vérifications doivent être faites dans un délai très bref, puisque les présentations doivent parvenir au Conseil au plus tard dix-neuf jours avant le premier tour, et qu'il doit établir la liste des candidats de telle sorte qu'elle soit publiée au Journal Officiel au plus tard seize jours avant le scrutin. Les risques d'erreur sont cependant faibles depuis qu'un arrêté du 27 décembre 1987 du Président du Conseil constitutionnel, pris dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, a autorisé le traitement automatisé des présentations de candidature.

La décision par laquelle le Conseil arrête, après ces vérifications, la liste des candidats, peut faire l'objet d'une réclamation, mais uniquement de la part d'une personne ayant fait l'objet d'au moins une présentation et avant l'expiration du jour suivant celui de la publication de la liste au Journal Officiel. Statuant lui-même dans un délai très bref, le Conseil accueille toutes réclamations portant sur la qualité des présentateurs, leur nombre, l'éligibilité des candidats ou l'attribution des signes distinctifs, à l’exception de celles lui demandant de contrôler la constitutionnalité d'une loi ou d'une réglementation.

La révision constitutionnelle du 18 juin 1976, modifiant l'article 7 de la Constitution, a également prévu l'intervention du Conseil dans une hypothèse particulière, celle du décès ou de l'empêchement d'un candidat. Ses pouvoirs varient selon le moment où se produit l'une ou l'autre circonstance: Si elle survient dans les sept jours précédant la date limite de dépôt des candidatures, il « peut décider de reporter l'élection »; si elle intervient avant le premier tour et une fois la liste publiée au Journal Officiel, le Conseil doit reporter l'élection; si le décès ou l'empêchement touche entre les deux tours l'un des deux candidats, le Conseil « déclare qu'il doit être procédé de nouveau à l'ensemble des opérations électorales », premier tour compris. Pour intervenir, le Conseil doit avoir été saisi soit par le Président de la République, le Premier Ministre, le Président du Sénat, le Président de l'Assemblée nationale, soixante députés ou soixante sénateurs; il peut également être saisi par les personnes habilitées à présenter un candidat dans les conditions requises pour cette présentation. Ces dispositions n'ont encore jamais eu l'occasion d'être mises en oeuvre. Certaines soulèveraient certainement des questions délicates: quels faits, actes ou circonstances permettraient de conclure à un empêchement? Une maladie grave, mais jusqu'à quel point ! L'inéligibilité?

Un enlèvement? Et dans l'hypothèse où le Conseil dispose du pouvoir d'apprécier l'opportunité d'un report de l'élection, comment l'exercera-t-il? A partir de quel seuil de représentativité - apprécié comment ? - jugera-t-il que la disparition d'un candidat est susceptible de fausser l'élection ? Pour intéressantes qu'elles soient, il faut souhaiter que ces questions restent toujours théoriques.

 

2. La consultation sur l'organisation des opérations électorales

Avant le scrutin, le Conseil est consulté par le gouvernement sur l'organisation des opérations de l'élection présidentielle. Il intervient donc, comme organe consultatif et non juridictionnel, et sur saisine du gouvernement, pour donner son avis sur les textes organisant l'élection: en 1988, les décrets de convocation des électeurs, de nomination des membres de la commission de contrôle, et relatif à la date d'envoi des formulaires de présentation d'un candidat à l'élection du Président de la République. Il peut également être « avisé sans délai de toute mesure prise » au sujet de cette élection, et par conséquent, puisqu'il en est saisi, prendre position sur leur régularité.

La notion d' «organisation des opérations » et, plus encore, de « mesure », étant difficile à définir, le champ de la consultation obligatoire ou facultative du Conseil est lui-même mal aisé à circonscrire; quant à la portée des avis, il n'est pas possible de la mesurer puisqu'ils ne sont pas rendus publics, alors pourtant qu'aucune disposition n'oblige le Conseil à garder le secret. Il faut peut-être déduire de cette particularité que le gouvernement prend généralement en considération les avis du Conseil, sinon ce dernier pourrait toujours les publier pour faire apparaître les irrégularités et contraindre les pouvoirs publics à les corriger.

Un domaine semble cependant être exclu de la compétence consultative du Conseil:

la propagande et la surveillance de la campagne électorale. Cette exclusion résulte de la loi du 6 novembre 1962 qui, pour définir la mission de surveillance de l'élection présidentielle par le Conseil, renvoie à tous les pouvoirs dont il dispose lors d'un référendum, sauf celui de « présenter des observations concernant la liste des organisations habilitées à user des moyens officiels de propagande ». La mise à l'écart du Conseil est encore renforcée par la création, par le décret du 14 mars 1964, de la Commission nationale de contrôle qui se voit attribuer la mission de veiller à ce que « tous les candidats bénéficient de la part de l’Etat des mêmes facilités pour la campagne en vue de l'élection présidentielle ». Pour celle de 1988, la tâche de surveillance de la C.N.C. a même été doublée par le pouvoir reconnu à la Commission nationale de la communication et des libertés de veiller également au respect du principe d'égalité entre les candidats dans les programmes d'information des sociétés audiovisuelles nationales, autorisées ou concédées, de fixer les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions de la campagne officielle sur les chaînes nationales attribution du temps de parole, ordre de passage à l’antenne, - et d'adresser, le cas échéant, des recommandations aux sociétés privées autorisées.

Ce dispositif de surveillance du respect du principe d'égalité des candidats durant la campagne électorale est de nature, par sa complexité, à redonner un pouvoir d'intervention au Conseil. En effet, l'enchevêtrement, voire la concurrence de compétences entre la C.N.C. et la C.N.C.L., peut donner, et a donné lieu en 1988, à des conflits ou des contradictions de décisions. Ainsi, le 12 avril 1988, la C.N.C.L., modifiant sa position arrêtée le 10 mars 1988, décide que les candidats peuvent utiliser, pour leur campagne, des déclarations ou des images de personnalités, librement, c'est-à-dire sans demander l'autorisation des intéressés. Saisie par le Président-candidat, la C.N.C. considère que ce changement de règle comporte, en cas d'application immédiate, le risque d'une rupture d'égalité entre les candidats, et recommande son entrée en vigueur au début d'une nouvelle série d'enregistrement des émissions de la campagne officielle, afin que chaque candidat puisse s'adapter à la nouvelle règle. La C.N.C.L. s'est rangée à l'avis de la C.N.C.; mais au cas contraire, qui aurait été compétent pour trancher le désaccord ? Le Conseil d’Etat, parce que, juge de la légalité des actes administratifs, la contestation des décisions des autorités administratives indépendantes relève de sa compétence ? ou le Conseil constitutionnel, parce que, juge de l'élection, il s'est aussi reconnu compétent pour apprécier, avant même le déroulement du scrutin, la régularité des décisions relatives à l'organisation des opérations électorales ? La complexité du système de contrôle est déjà assez grande pour penser que la seconde solution l'aurait emportée.

 

B. LE CONTROLE DU DEROULEMENT DU SCRUTIN,
DES RECLAMATIONS ET LA PROCLAMATION DES RESULTATS

 

1. Le contrôle pendant et après le scrutin

Pour suivre sur place les opérations électorales, le Conseil peut, en vertu de l'article 48 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, désigner « un ou plusieurs délégués choisis, avec l'accord des ministres compétents, parmi les magistrats de l'ordre judiciaire ou administratif ». Sont généralement désignés comme délégués, les rapporteurs-adjoints du Conseil, les présidents des Cours d'appel, qui, sur habilitation du Président du Conseil, peuvent à leur tour désigner des magistrats de leur ressort, des membres du Conseil d’Etat, de la Cour des Comptes et les présidents des tribunaux administratifs des départements et territoires d'outre-mer où une surveillance particulière s'impose souvent.

Pour l'élection présidentielle de 1974, la Commission nationale de contrôle ayant elle-même désigné et envoyé des délégués pour suivre sur place les opérations électorales, le Président du Conseil constitutionnel exprime, dans une lettre adressée au Président de la C.N.C., ses plus expresses réserves à l'égard de cette initiative, en lui rappelant que le droit de désigner des délégués n'appartenait qu'au seul Conseil constitutionnel. L'« affaire » fut réglée par la décision de considérer les délégués de la C.N.C. comme des rapporteurs suivant le déroulement du scrutin au nom du Président de la République par intérim Alain Poher - chargé par l'article 5 de la Constitution d'assurer « par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ». Depuis cette polémique, il semble acquis que les magistrats désignés comme rapporteurs par la C.N.C. et la C.N.C.L. soient également considérés comme délégués du Conseil constitutionnel auquel ils doivent donc rendre compte de leur mission.

Le rôle de ces délégués est simple: suivre sur place les opérations de vote. Ils ne peuvent donc pas se substituer aux diverses autorités compétentes préfets, commission du recensement des votes, - mais seulement attirer leur attention sur certaines questions de fait ou de droit délicates, en donnant, soit de leur propre initiative soit après avoir été sollicités, leur avis, par exemple, sur les documents d'identité exigibles, le nombre d'urnes dans le bureau de vote, l'obligation de l'isoloir, la validité de bulletins, le décompte des voix, Les délégués doivent rendre compte de leur mission de surveillance dans un rapport écrit, adressé au Conseil constitutionnel qui peut, le cas échéant, demander à les entendre.

Après l'élection, très précisément « dans un délai de 48 heures suivant la clôture du scrutin », le Conseil peut être saisi de réclamations portant sur la régularité des opérations électorales, soit par un électeur ou un représentant d'un candidat mais à condition qu'ils aient préalablement fait inscrire leur protestation au procès-verbal des bureaux de vote ou des commissions du recensement, soit directement par le représentant de l’Etat ou par un candidat.

Le droit de réclamation largement ouvert a permis au Conseil, à chaque élection, de relever comme irrégularités, l'absence d'ouverture de certains bureaux de vote en raison de troubles graves, le refus de contrôler l'identité des électeurs malgré les observations répétées faites par le délégué local du Conseil, l'interdiction faite au représentant d'un candidat d'inscrire une réclamation au procès-verbal, la disparition de la liste d'émargement, des écarts importants entre le nombre de votants et celui des personnes inscrites sur la liste d'émargement Quand le Conseil considère que l'irrégularité a eu pour effet de porter atteinte à la liberté ou à la sincérité du scrutin, il annule les résultats dans le bureau de vote où l'irrégularité a été commise; sinon, il constate la méconnaissance de telle ou telle disposition législative ou réglementaire, mais ne la sanctionne pas.

Une fois les réclamations examinées, le Conseil peut alors proclamer les résultats de l'élection présidentielle.

 2. La proclamation des résultats

A l'issue du premier tour de scrutin, le Conseil rend public le nombre de suffrages obtenus par chacun des candidats, au plus tard le mercredi à 20 heures. Cette déclaration n'a pas un caractère définitif en ce sens que les résultats du 1er tour peuvent être modifiés, notamment à la suite de réclamations, lorsque sont proclamés, après le second tour, les résultats de l'ensemble de l'élection. Suite à cette déclaration, le Conseil arrête, par une décision, la liste des deux candidats habilités à se présenter au second tour.

A l'issue du second tour, le Conseil doit proclamer les résultats et le Président élu, dans le délai de 10 jours suivant la clôture du scrutin. En 1981, le Conseil a fixé, dans la proclamation, la date d'entrée en fonction du Président nouvellement élu, point qui alimentait alors une « petite » controverse. Il a ainsi considéré que Valéry Giscard d'Estaing ayant été proclamé Président de la République le 24 mai 1974, ses fonctions cessaient « au plus tard, le 24 mai 1981 à zéro heure ». Il ouvrait ainsi la possibilité au Président battu de se retirer avant l'expiration légale de son mandat, mais après la proclamation de l'élection de son successeur sans provoquer cependant une situation de vacance. L'accord entre les deux hommes s'étant fait sur la date du 21 mai 1981, le second mandat de François Mitterrand commença donc le 21 mai 1988, et non le 11 mai 1988 jour de la proclamation des résultats. Contrairement à la déclaration du 1er tour, la proclamation des résultats de l'élection présidentielle a un caractère définitif qui s'impose donc à tous. En 1988, pour la première fois et conformément aux dispositions nouvelles de la loi organique du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, a été annexée à la proclamation, la déclaration de la situation patrimoniale de François Mitterrand.

La mission du Conseil constitutionnel devrait, en principe, s'arrêter là. Mais en 1974, se fondant sur une interprétation large de l'article 58 de la Constitution qui le charge de veiller à la régularité de l'élection du Président de la République, le Conseil a estimé « de sa responsabilité de rendre une déclaration » par laquelle il tirait « la leçon des constatations qu'il a pu faire au cours des trois élections » présidentielles. Ainsi, il suggéra une augmentation du nombre des présentateurs, une meilleure répartition territoriale des signataires, la publication de la liste des « parrains », l'adoption de dispositions relatives à l'hypothèse du décès d'un candidat et l'établissement d'un véritable statut de la pratique des sondages d'opinion en période électorale. Dans ses observations relatives à l'élection présidentielle de 1988, il suggère, qu'en cas d'irrégularités commises par des présidents de bureaux de vote lors du premier tour de scrutin, la présidence de ces bureaux soit assurée au second tour par une personne désignée par le Tribunal de grande instance. Et s'il est déclaré incompétent pour vérifier la régularité et la sincérité des comptes de campagne que chaque candidat doit, en application de la loi du 11 mars 1988, lui adresser dans les soixante jours qui suivent l'élection, il a cependant estimé « au titre de sa mission générale de contrôle de la régularité de l'élection présidentielle » qu'« il lui appartient d'attirer l'attention tant sur l'imprécision des règles que sur leurs lacunes »; et, après les avoir analysées avec une grande précision, il déclare « indispensable qu'une réflexion approfondie soit poursuivie par les pouvoirs publics sur les conditions d'application » des lois organiques et ordinaires du 11 mars 1988 relatives à la transparence financière de la vie politique. Elle le sera, pleinement, puisque le Parlement modifiera ces lois pour intégrer les recommandations du Conseil dans une nouvelle législation, celle du 15 janvier 1990. Par ces observations, le Conseil ne s'est-il pas reconnu, indirectement, un pouvoir d'initiative des lois, en tout cas, le pouvoir de « suggérer » au législateur les modifications qu'il lui paraît opportun d'apporter aux textes législatifs réglementant la matière électorale?

 

§ 2. LE CONTROLE DU REFERENDUM

 

Là aussi, mais avec des pouvoirs différents, le Conseil intervient à l'égard des actes préparatoires au référendum (A) et contrôle le déroulement du scrutin puis tranche les contestations avant de proclamer les résultats (B).

 

A. LE CONTROLE DES ACTES PREPARATOIRES AU REFERENDUM

 1. Un pouvoir consultatif

Comme pour l'élection présidentielle, le Conseil est consulté par le gouvernement sur l'organisation des opérations de référendum et est avisé sans délai de toute mesure prise à ce sujet.

En pratique, il est saisi, pour avis, d'un nombre de textes préparatoires au référendum plus important que dans l'hypothèse présidentielle; lors du référendum du 6 novembre 1988 par exemple, lui ont été soumis, le décret décidant de soumettre un projet de loi au référendum avec en annexe le projet de loi les décrets portant organisation du référendum, relatif à la campagne électorale, fixant les conditions particulières pour les territoires d'outre-mer, les collectivités territoriales de Mayotte et Saint-Pierre-et Miquelon et pour les Français établis hors de France; mais aussi, des arrêtés fixant la liste des organisations politiques habilitées à participer à la campagne électorale; mais encore, des décisions de la Commission nationale de la communication et des libertés relatives aux conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions de la campagne radiodiffusée et télévisée. Cette sollicitation plus importante du Conseil s'explique, peut-être, par le souci du gouvernement de se prémunir contre les accusations d'organiser un plébiscite: en soumettant à l'avis du Conseil l'ensemble ou la grande majorité des textes préparant le référendum, il place l'organisation de l'opération électorale sous le signe neutre de l'autorité du Conseil, et non plus sous celui, partisan, du seul Exécutif. Au demeurant, les textes eux-mêmes définissent plus largement la mission du Conseil, puisque pour le référendum et à la différence de l'élection présidentielle, il « peut présenter des observations concernant la liste des organisations habilitées à user des moyens officiels de propagande ».

Quelles que soient leur importance et leur diversité, ces attributions sont, souligne fortement le Conseil, « purement consultatives ». S'il est possible d'imaginer que le prestige du Conseil donne à ses avis une autorité certaine, il est difficile d'en mesurer l'exacte portée étant donné leur confidentialité; bien qu'aucune disposition n'interdise expressément au Conseil de publier ses avis, il semble considérer jusqu'à présent que l'initiative de la publication appartient au gouvernement qui a demandé la consultation. L'évolution récente de la pratique référendaire permet cependant d'avancer une hypothèse et de rappeler une proposition. Le Conseil ayant considéré, dans sa décision du 2 juin 1987, que la question posée aux votants ne devait pas comporter d'équivoque et qu'elle devait satisfaire à la double exigence de loyauté et de la clarté de la consultation, il doit pouvoir donner son avis sur la formulation et la rédaction de la question, lorsque lui est adressé le décret décidant de soumettre un projet de loi au référendum. Enfin, il faut rappeler que le Conseil pourrait, dans le cadre de ses attributions consultatives, s'opposer à un référendum contraire à la constitution, en refusant de donner son avis, ce qui aurait pour effet de bloquer la procédure, et en tout cas, de mettre en grande difficulté un gouvernement qui ferait malgré tout procéder à la consultation sans le concours du Conseil.

 

2. Le refus d'un contrôle juridictionnel préalable

Dès ces premières décisions, le Conseil a clairement affirmé qu'il n'était pas compétent pour connaître des réclamations dirigées contre les différents textes organisant et préparant le référendum. Il a ainsi refusé de statuer le 23 décembre 1960, sur une demande de M. Jacques Soustelle s'élevant contre la non-inscription de son parti, le Regroupement national, sur la liste des organisations politiques habilitées à user des moyens de propagande pour le référendum de 1961. Le Conseil a justifié son refus en développant deux types d'arguments. Il a d'abord nettement distingué son rôle en ce qui concerne l'organisation des opérations de référendum, et son rôle juridictionnel en ce qui concerne la contestation du déroulement des opérations de référendum; et il a déduit de cette distinction qu'il ne pouvait être juge de la régularité des textes à l’égard desquels il avait seulement une fonction consultative. Le Conseil a ensuite fait valoir que sa compétence juridictionnelle ne pouvait être déclenchée que par « des contestations formulées à l'issue du scrutin à l'encontre des opérations effectuées ».

Cette argumentation ne convainc pas. Pour l'élection présidentielle, le Conseil s'est déclaré compétent pour statuer, avant le scrutin, sur la réclamation d'un candidat dirigée contre l'attribution d'un signe distinctif, la Croix de Lorraine, à un de ses concurrents. Et surtout, pour les élections législatives, il a considéré qu'il pouvait apprécier, avant le scrutin, la régularité du décret portant convocation des électeurs et fixant les règles d'organisation de la consultation. Dès lors, sa mission de surveillance de « la régularité des opérations du référendum » ne devrait-elle pas le conduire à admettre pareillement sa compétence pour connaître des réclamations contre les opérations préalables et les mesures d’organisation d'un référendum?

Le Conseil ne semble pas l'avoir jugé ainsi, puisque dans sa décision du 25 octobre 1988, il a confirmé sa jurisprudence de 1960, même s'il a adopté un nouveau considérant qui ouvre la voie à une évolution possible. En effet, le Conseil pour rejeter les réclamations dirigées, avant le scrutin, contre les décrets organisant le référendum sur la Nouvelle-Calédonie, précise, à la différence de son argumentation de 1960, que « les décrets contestés ont été préalablement soumis par le gouvernement à la consultation exigée » du Conseil constitutionnel. Faut-il en déduire, a contrario, que le Conseil se reconnaîtrait compétent pour apprécier, avant le scrutin référendaire, la régularité de décrets que le gouvernement ne lui aurait pas soumis pour avis? La jurisprudence Delmas de 1981 invite à le penser, comme le fait que la consultation du Conseil est une condition de la régularité même du référendum à laquelle il doit par ailleurs « veiller ».

Quoi qu'il en soit, la position actuelle du Conseil a pour conséquence de faire le Conseil d’Etat compétent pour juger des recours contre les différents textes relatifs aux opérations préalables d'organisation d'un référendum. Serait possible, à la rigueur, de se satisfaire de cette « solution », si la juridiction administrative statuait en temps utile, c'est-à-dire avant le référendum. Or, le plus souvent, elle statue après, et rend alors un non-lieu. Mieux vaudrait pour mettre fin à cette situation, que le Conseil d’Etat décide « qu'il n'appartient qu'au Conseil constitutionnel, juge du référendum, d'apprécier la légalité des actes qui sont le préliminaire des opérations électorales », et que le Conseil constitutionnel accepte cette compétence. La qualité de son intervention consultative ne saurait justifier son non-contrôle juridictionnel des opérations préalables; la régularité sinon la crédibilité du référendum en dépendent en partie.

 

B. LE CONTROLE DU DEROULEMENT DU SCRUTIN,
DES RECLAMATIONS ET LA PROCLAMATION DES RESULTATS

 

1. Le contrôle pendant le scrutin

Le contrôle du bon déroulement des opérations de vote, le jour du référendum, est assuré par le Conseil dans les mêmes conditions que celles définies pour l'élection présidentielle. Il désigne des délégués choisis avec l'accord des ministres compétents parmi les magistrats de l'ordre judiciaire ou administratif pour suivre, sur place, les opérations. Aucune disposition particulière ne différencie ici le dispositif de contrôle; la mission des délégués s'achève par la rédaction et l'envoi des rapports au Conseil, au vu desquels, notamment, il apprécie la régularité des opérations.

 

2. Le contrôle après le scrutin et la proclamation des résultats

Après le scrutin référendaire, le Conseil a une triple fonction. Il assure d'abord directement la surveillance du recensement général. En pratique, les résultats du dépouillement de chaque bureau de vote sont centralisés au niveau de la commune, puis à celui du département par une commission de recensement qui dresse un procès-verbal et l'envoie au Conseil afin qu'il puisse opérer le recensement général; le Conseil reçoit également les procès-verbaux particuliers des bureaux de vote lorsqu'un ou plusieurs électeurs ont fait inscrire une réclamation.

Le Conseil examine ensuite et tranche les réclamations éventuelles. Par une décision du 5 octobre 1988, il a précisé la procédure particulière à suivre pour les réclamations relatives aux opérations de référendum, en distinguant la situation de l'électeur de celle du représentant de l’Etat: tout électeur a le droit de contester la régularité du scrutin, à condition qu'il ait fait porter préalablement sa réclamation au procès-verbal des opérations de vote; le représentant de l’Etat dans les départements, territoires ou collectivités territoriales à statut particulier, peut également, dans un délai de 48 heures après la clôture du scrutin, saisir le Conseil lorsque les formes légales et réglementaires n'ont pas été respectées. Par ailleurs, les réclamations susceptibles d'être portées devant le Conseil ne peuvent, semble-t-il, avoir qu'un objet limité. Régulièrement, en effet, il rappelle que sa compétence juridictionnelle ne concerne que « les contestations formulées à l'encontre des opérations effectuées ». Par cette formulation, le Conseil paraît donc exclure toute réclamation portant sur les actes, textes ou faits préalables au référendum déroulement de la campagne électorale, décrets organisant le scrutin, et limiter sa compétence aux seules irrégularités relatives aux opérations de vote et de dépouillement. Cette jurisprudence n'est pas entièrement satisfaisante car si, effectivement, l'article 50 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 donne compétence au Conseil pour statuer sur « les irrégularités dans le déroulement des opérations », ce qui paraît viser uniquement le vote et le dépouillement, l'article 60 de la Constitution lui donne pour mission de « veiller à la régularité des opérations de référendum », ce qui parait comprendre l'ensemble des actes et faits relatifs au scrutin. Or la constitution, texte supérieur, s'impose à l'ordonnance organique, texte inférieur, et doit, selon l'expression de Léo Hamon, en guider l'interprétation.

Le Conseil enfin, par une même décision, juge les réclamations et proclame les résultats du référendum. Ainsi, en 1988, il a annulé les résultats dans une commune où le bureau de vote avait été fermé prématurément, et d'un bureau de vote où les électeurs n'avaient pas disposé d'un isoloir comme l'exige le principe constitutionnel du secret du vote; en revanche, il n'a pas décompté les suffrages d'un bureau où le Président s'était opposé à la désignation d'un délégué d'un parti politique, au motif que cette irrégularité n'avait pas eu pour effet de porter atteinte à la liberté ou à la sincérité du scrutin.

La proclamation a seulement pour objet de proclamer les résultats définitifs du référendum, mais non de faire entrer dans le droit positif la loi adoptée par le peuple. Cette responsabilité revient, en cas de référendum positif, au Président de la République qui, en vertu de l'article 10 de la Constitution, dispose seul du pouvoir de promulguer les lois, y compris les lois référendaires, dans le délai de 15 jours.

Ce délai peut cependant être suspendu dans l'hypothèse où, en application de l'article 61 de la Constitution, le Conseil est saisi d'un recours mettant en cause la constitutionnalité de la loi adoptée par référendum. Qu'il se soit déclaré incompétent en 1962, par respect de l'expression directe de la souveraineté nationale, ne saurait, en effet, autoriser le Chef de l'État à promulguer la loi référendaire en cas de recours en inconstitutionnalité; il doit attendre la décision du Conseil, dut-il confirmer son incompétence.

Au total, le contentieux électoral appelle deux observations: le contrôle du Conseil varie assez profondément selon le type de scrutin en cause, parlementaire, présidentiel ou référendaire; et le contrôle du Conseil est toujours exercé en concurrence avec d'autres institutions, juridiction administrative, judiciaire ou autres organismes comme la C.N.C. par exemple. L'autorité acquise par le Conseil permet de suggérer que le moment est peut-être venu de mettre fin à cette complexité des régimes de contrôle en faisant du Conseil, le juge de droit commun des consultations politiques nationales, compétent pour statuer sur toutes les questions relatives à l'organisation et au déroulement des opérations électorales.