CODICES

 

ARM-2006-3-002

 

a) Arménie / b) Cour constitutionnelle / c) Cour plénière / d) 07-11-2006 / e) DCC-664 / f) Concernant la compatibilité avec la Constitution arménienne de la deuxième phrase de l'article 35.1.3, de l'article 35.1.4 et de l'article 36.1 du Code électoral arménien / g) à paraître dans Téghékaguir (Journal officiel) / h) .

Mots-clés du Thésaurus systématique:

3.4

Principes généraux - Séparation des pouvoirs.

4.7.4.1.6.1

Institutions - Organes juridictionnels - Organisation - Membres - Statut - Incompatibilités.

4.9.1

Institutions - Élections et instruments de démocratie directe - Organe compétent pour l’organisation et le contrôle du vote.

5.3.13.14

Droits fondamentaux - Droits civils et politiques - Garanties de procédure, droits de la défense et procès équitable - Indépendance.

5.3.13.15

Droits fondamentaux - Droits civils et politiques - Garanties de procédure, droits de la défense et procès équitable - Impartialité.

Mots-clés de l'index alphabétique:

Commission électorale, formation / Juridiction, indépendance / Juge, impartialité / Juge, incompatibilité.

Sommaire (points de droit):

Les responsabilités d'un juge ne sont pas compatibles avec un emploi qui n'a pas de lien avec le rôle de juge. Par exemple, le droit d'un juge d'administrer la justice n'est pas compatible avec l'organisation et la tenue d'élections. Il ne convient donc pas que des juges siègent dans les commissions électorales comme le propose la Constitution. Cela serait contraire à l'administration de la justice et à l'indépendance du système judiciaire. Cela pourrait aussi entraîner des conflits d'intérêts entre les juges et il serait difficile pour les juges et les tribunaux de rester impartiaux lorsqu'ils auraient à juger des litiges en matière électorale.

Résumé:

I. Un groupe de députés de l'Assemblée nationale arménienne a demandé à la Cour constitutionnelle de juger de la constitutionnalité des dispositions de la deuxième phrase de l'article 35.1.3 et 35.1.4 ainsi que de l'article 36.1 du Code électoral.

Les dispositions indiquaient que, après les élections parlementaires, les membres de la commission électorale centrale seraient désignés par le Conseil des présidents des tribunaux d'Arménie. Le conseil comprend des juges des juridictions de première instance ainsi qu'un juge de la Cour de cassation désigné par celle-ci. Selon les requérants, ces dispositions étaient contraires aux  articles 5.1, 19.1 et  98.1 de la Constitution.

Les requérants ont souligné que, selon la doctrine de la séparation des pouvoirs, les compétences relevant de l'un des pouvoirs ne pouvaient être confiées à un autre. Ils ont déclaré ensuite que lorsqu'un citoyen conteste les décisions d'une commission électorale centrale ou locale, le recours est examiné par l'organe d'État dont les représentants sont à l'origine de la législation concernée. Cependant, un tribunal ne peut être impartial et indépendant que s'il est distinct de l'organe qui a adopté la décision contestée et s'il n'a joué aucun rôle dans la prise de cette décision. Les requérants ont également indiqué que lorsqu'un juge remplit ses fonctions officielles, il s'agit d'une occupation professionnelle qui est incompatible avec une occupation sans lien avec ses fonctions.

Le défendeur a prétendu que les dispositions du Code électoral n'étaient pas contraires à l'article 5.1 de la Constitution. En tant qu'organes indépendants, les commissions électorales ne relèvent d'aucune branche du pouvoir de l'État et n'exercent pas en pratique de fonction attribuable exclusivement au pouvoir exécutif, ou au pouvoir législatif, ou au pouvoir judiciaire.

Selon le défendeur, il n'y a pas de contradiction entre les dispositions du Code électoral et l'article 19.1 de la Constitution. Il n'y en aurait que si un juge membre d'une commission électorale avait à juger un litige en matière électorale. Le défendeur a également fait remarquer que des modifications récentes de la Constitution avaient entraîné un nouveau libellé de l'article 98.1. De ce fait, les dispositions contestées sont maintenant contraires à l'article 98.1 de la Constitution.

II. La Cour constitutionnelle a pris note de la clause contenue à l'article 32.1 du Code électoral, selon laquelle "les commissions électorales garantissent la réalisation et la protection des droits électoraux des citoyens. Dans l'exercice de leurs fonctions, les commissions électorales sont indépendantes de l'État et des collectivités locales".

Les commissions électorales ont pour fonction de veiller à ce que les institutions de la démocratie soient formées grâce à l'exercice et au respect des droits électoraux des citoyens. On ne peut comparer directement cette fonction à celles d'autres organes d'État. À cet égard, l'implication de tous les secteurs de l'État dans la formation des commissions électorales est justifiée, puisqu'il existe de solides garanties pour assurer l'indépendance des ces commissions. Il ne faut pas permettre aux organes de l'État de s'attribuer des pouvoirs qui risqueraient de compromettre l'exercice effectif et impartial de leurs propres compétences ou de menacer l'équilibre constitutionnel entre pouvoirs et contre-pouvoirs.

La Cour constitutionnelle a également fait remarquer que bien que l'article 33 du Code électoral stipule que les juges des juridictions de droit commun travaillent sur une base volontaire, la nature de leur travail signifie qu'ils détiennent une fonction publique dans un organe de l'État. En outre, selon l'article 33.3, "Le président, le vice-président et le secrétaire de la Commission électorale centrale travaillent sur une base permanente et ne peuvent effectuer d'autre travail rémunéré, sauf des activités scientifiques, pédagogiques et de création". Ces exigences contribuent à définir la spécificité des membres de la commission électorale et sont importantes parce qu'elles garantissent l'égalité de statut des membres de la commission.

La Cour a souligné que l'article 98.1 de la Constitution interdit aux juges et aux membres de la Cour constitutionnelle d'être engagés dans des activités d'entreprise, d'avoir une fonction publique au sein du gouvernement central ou d'une collectivité locale, sans aucun lien avec leurs responsabilités, des fonctions au sein d'entreprises commerciales ou tout autre travail salarié. Les seules exceptions sont les activités scientifiques, pédagogiques ou de création.

Ces dispositions visent à assurer que ceux qui sont responsables de l'administration de la justice consacrent toute leur attention à cette tâche et l'accomplissent de manière impartiale. Il s'agit d'éviter les conflits d'intérêts et toute influence indue sur les juges. Le fait que la législation interdise aux juges et aux membres de la Cour constitutionnelle de détenir une fonction publique au sein du gouvernement central ou d'une collectivité locale sans aucun lien avec leurs responsabilités implique que la Constitution a défini le cadre du mandat d'un juge de manière à ce qu'il s'en tienne à ses fonctions officielles. Toute modification de la législation touchant au statut et au pouvoir du juge devra tenir dûment compte de cette limitation imposée par la Constitution.

La Cour a également fait remarquer que la Constitution l'autorise à juger des litiges liés aux résultats d'élections présidentielles ou parlementaires. Les juridictions de droit commun peuvent juger les litiges qui surviennent lors des préparatifs et de l'organisation des élections ainsi que les violations des dispositions du Code électoral. Lors d'élections municipales, la protection judiciaire des droits électoraux incombe aux juridictions de droit commun. Dans ce cas, le droit d'un juge d'administrer la justice n'est pas compatible avec l'organisation d'élections, a fortiori si le juge est élu président, vice-président ou secrétaire d'une commission électorale, ce que le Code électoral n'interdit pas.

La Cour a attiré l'attention sur le document intitulé "Code de bonne conduite en matière électorale: lignes directrices et rapport explicatif" adopté les 18-19 octobre 2002 par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), qui souligne la nécessité d'un système électoral indépendant et impartial. Selon le paragraphe 3.1.d de la deuxième partie du document, la commission électorale centrale devrait comprendre au moins un magistrat. Les paragraphes 68 à 85 de ce document indiquent la façon dont les commissions électorales doivent être organisées pour garantir leur fonctionnement impartial et indépendant. Selon le commentaire contenu au paragraphe 75 du Code: en règle générale, la commission devrait comprendre parmi ses membres "un magistrat: dans le cas où un organe judiciaire est chargé d'administrer les élections, son indépendance doit être assurée par la transparence de la procédure; les magistrats désignés ne doivent pas dépendre des candidats qui se présentent".

Compte tenu des points évoqués précédemment, la Cour constitutionnelle a jugé que la présence d'un "magistrat" vise clairement à garantir l'impartialité et l'indépendance des commissions. Cette disposition se réfère à des magistrats indépendants et impartiaux. La législation de plusieurs États membres du Conseil de l'Europe prévoit la participation de juges aux commissions électorales.

Cependant, selon plusieurs dispositions du Code électoral et de la loi sur le système judiciaire, plus de la moitié des juges des juridictions de droit commun peuvent devenir membres des commissions électorales, tandis que moins de la moitié d'entre eux peuvent avoir à examiner les décisions adoptées par leurs collègues. Cette situation affecte tout le système judiciaire. Selon la loi sur le pouvoir judiciaire, le système judiciaire arménien comprend 101 juges et 17 présidents de juridictions de première instance, 24 juges et 2 présidents de cours d'appel, le président de la Cour de cassation, 2 présidents de chambre et 10 juges. Il existe également un tribunal économique spécialisé comprenant un président et 21 juges. En tout, le système comprend 179 magistrats (157 si l'on ne compte pas les juges du tribunal économique), dont 84 peuvent aussi siéger dans une commission électorale.

L'article 40.14 du Code électoral stipule que: "les juges nommés dans les commissions électorales en vertu de la procédure fixée dans le Code électoral ne peuvent juger des litiges découlant des activités (ou de l'inactivité) de leurs commissions électorales respectives". Cela ne change pas beaucoup la situation. De plus, les articles 35 et 36, pris conjointement avec les paragraphes 1 et 2 de la partie 3.1 de l'article 38 du Code électoral, fixent la procédure permettant de combler les sièges vacants des commissions électorales centrale et régionales avec des magistrats. On pourrait imaginer une situation dans laquelle le nombre des juges qui pourraient siéger dans les commissions électorales pourrait dépasser celui des juges des juridictions de droit commun.

Compte tenu du petit nombre de juges en Arménie, l'équilibre à respecter entre les juges siégeant dans les commissions électorales et les autres, la manière dont sont résolus les litiges en matière électorale et diverses contraintes de temps, il y a de toute évidence un conflit entre la nécessité de constituer des commissions électorales indépendantes et celle d'avoir une administration efficace et impartiale de la justice. Il peut donc s'avérer impossible de respecter les droits énoncés à l'article 19 de la Constitution. La Cour a souligné que le rôle de commissions électorales impartiales et indépendantes était vital mais que dans "les pays en transition", l'impartialité du pouvoir judiciaire était également essentielle. C'est pourquoi l'article 98 de la Constitution stipule que les juges ne peuvent pas occuper une autre fonction publique que celle liée à leurs responsabilités officielles. Le fait de siéger dans une commission électorale, ainsi que le prévoit le Code électoral, est contraire à l'administration de la justice et à l'indépendance du système judiciaire, accroît la possibilité de conflits d'intérêts et compromet l'impartialité des juges et des tribunaux lors de la résolution de litiges en matière électorale.

Aux termes de l'arrêt de la Cour constitutionnelle:

1.     les articles 35.1.3, 35.1.4 et 36.1 du Code électoral, qui prévoient que des juges peuvent être désignés comme membres des commissions électorales centrale ou régionales, sont contraires aux  articles 19.1 et  98.1 de la Constitution et ont donc été déclarés nuls et non avenus;

2.     les parties des articles 35.2, 38.3.1.1 et 38.3.1.2 du Code électoral qui fixent la procédure permettant de combler les postes vacants au sein des commissions électorales centrale et régionales en y affectant des juges sont contraires aux  articles 19.1 et  98.1 de la Constitution. Elles ont donc été déclarées nulles et non avenues;

3.     tout autre texte législatif visant la mise en œuvre des dispositions invalidées sera abrogé dès l'entrée en vigueur de l'arrêt de la Cour constitutionnelle.

Langues:

Arménien.