BULGARIE
D. Gotchev
Juge de la Cour constitutionnelle de Bulgarie
Legalite devant la loi et la pratique de la Cour Constitutionnelle
Lun des principes fondamentaux de la Constitution bulgare, énoncé dans son art. 6, est celui de légalité devant la loi. Cette égalité ne peut être limitée par les lois se fondant sur la distinction de race, de nationalité, dappartenance ethnique, de sexe, dorigine, de religion, déducation, de convictions, dappartenance politique, de condition personnelle et sociale ou de situation de fortune.
La pratique de la Cour constitutionnelle est liée à linterdiction de limiter les droits des citoyens selon les distinctions ci-dessus. Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité conformément à lart. 149, al. 1, p. 2 de la Constitution, la Cour a pu se prononcer à plusieurs reprises sur linconstitutionnalité de textes de lois, mais cest la décision interprétative No 14 du 10 novembre 1992, sur laffaire constitutionnelle No 14 du 1992 (J.O. No 93 de 1992), qui est considérée comme principale en la matière.
Cette décision traite en premier lieu le principe de légalité devant les lois de tous les citoyens. Il est signalé que ce principe est fondamental dans toute société démocratique et quil est énoncé dans le préambule de la Constitution en tant quune valeur universelle parallèlement à la liberté, à la paix, à lhumanisme, à la justice et à la tolérance.
Selon cette décision le respect du principe de légalité des citoyens est considéré comme le respect même de la Déclaration universelle des droits de lhomme de lOrganisation des Nations Unies.
Le principe de légalité des citoyens devant la loi est lié à linterdiction dun traitement inégal fondé sur les distinctions citées dans lart. 6, al. 2 de la Constitution, autrement dit à linterdiction de la discrimination.
La Cour repartit en deux catégories les distinctions définissant la discrimination comme inadmissible. La première catégorie regroupe les distinctions de naissance race, sexe, nationalité, appartenance ethnique, origine. Linadmissibilité de la discrimination sur la base de ces distinctions relève de la règle qui stipule que «tous les individus naissent libres et égaux en droit ». Les distinctions de la seconde catégorie religion, éducation, convictions, appartenance politique, condition personnelle et sociale et situation de fortune sont acquises et changent au cours de la réalisation sociale de lindividu.
Sont inadmissibles toute limitation des droits et toute attribution de privilèges fondées sur quelle que soit des distinctions mentionnées ci-dessus.
Les distinctions en question sont exhaustivement énumérées dans lart. 6, al. 2 de la Constitution. Linterdiction par une loi de la discrimination et de létablissement dun régime de limitation des droits ou dattribution de privilèges sur la base dautres distinctions nexistant pas, le législateur peut limiter les droits ou attribuer des privilèges sur la base des distinctions autres que celles citées dans lart. 6, al. 2 de la Constitution. Dans la décision en question la Cour constitutionnelle indique que «la Constitution nexclut pas la limitation des droits et lattribution de privilèges strictement définis sur la base dautres distinctions sociales».
Exposées comme elles le sont, les considérations principales du texte de cette décision interprétative de la Cour ont trouvé une application dans nombre de décisions prononcées dans le cadre du contrôle de constitutionnalité exercé sur des textes de lois concrets (art. 149, al. 1, p. 2 de la Constitution).
A titre dexemple on peut citer la décision No 8 du 27 juillet 1992, affaire constitutionnelle 7/1992 (J.O. No 62/92), par laquelle la Cour constitutionnelle sest prononcée sur linconstitutionnalité du paragraphe 9 des Dispositions finales et transitoires de la Loi sur les banques et les crédits interdisant notamment laccès aux organes dirigeants des banques à des personnes ayant occupé auparavant certains postes électifs ou faisant partie des effectifs.
La Cour a noté que cette limitation est en contradiction avec lart. 6, al. 2 de la Constitution parce quelle est fondée sur des distinctions qui y sont mentionnées et qui excluent la limitation des droits en matière daccès à de tels postes.
Par sa décision No 11 du 29 juillet 1992, affaire constitutionnelle No 18/92 (J.O. No 64/92) la Cour a déclaré linconstitutionnalité du paragraphe 6 de la Loi modifiant et complétant la Loi sur les pensions de retraite (J.O. No 52/1992) qui porte création dun nouvel article 10 «a». Le texte en question stipule que le temps passé à un poste dirigeant au sein du personnel des partis et organisations politiques visés dans le texte ne sera pas pris en considération pour lancienneté de lindividu concerné.
La Cour a décidé que priver cette catégorie de citoyens de leurs droits conformément à lart. 51 de la Constitution est en contradiction avec lart. 6, al. 2. Il ny a pas de fondement pour un traitement inégal des citoyens.
La Cour a affirmé ce principe constitutionnel aussi dans sa décision No 3 du 3 avril 1992, affaire constitutionnelle No 30/91 (J.O. No 30/92). Elle a notamment rejeté la requête demandant létablissement dinconstitutionnalité du paragraphe 1 de la Loi modifiant et complétant la Loi sur le Conseil suprême judiciaire (J.O. No 106/91) ce paragraphe ayant abrogé lal. 4 de lart. 2 de cette loi lequel interdit aux avocats en exercice dêtre élus au Conseil suprême judiciaire. La Cour a indiqué «quon ne peut pas, aux termes dune loi, établir des limitations fondées sur une telle caractéristique professionnelle de la profession juridique» visant notamment la distinction «déducation» de lart.6, al. 2 de la Constitution.
La Cour a exprimé une position similaire aussi dans sa décision No 9 du 30 septembre 1994, affaire constitutionnelle No 11/94 (J.O. No 87/94). Par cette décision la Cour a déclaré inconstitutionnel lart. 16, al.4, p. 3 de la Loi sur le pouvoir judiciaire (J.O. No 59/94) lequel stipule que lexercice dune profession libre de la part des membres du Conseil suprême judiciaire est incompatible avec leur statut.
Cest toujours en suivant le principe dinadmissibilité de la limitation des droits, fondée sur les distinctions énumérées dans lart. 6, al. 2 de la Constitution, que la Cour constitutionnelle a prononcé sa décision No 12 du 4 juin 1998, affaire constitutionnelle 13/98 (J.O. No 66/98), qui établit linconstitutionnalité de lart. 1 de la Loi déclarant propriété de lEtat les biens immobiliers des familles des anciens rois Ferdinand et Boris et de leurs héritiers (J.O. No 305/47). Dans cette décision la Cour exprime son avis quil est inadmissible, du point de vue de la Constitution actuellement en vigueur, de porter atteinte aux droits des individus, selon la distinction de «condition personnelle» ou celle «dorigine».
Dans lesprit de ce principe sinscrit aussi la décision No 2 de la Cour du 21 janvier 1999, affaire constitutionnelle No 33/98 (J.O. No 88/99). Dans cette décision la Cour a prononcé linconstitutionnalité du paragraphe 1 des Dispositions transitoires et finales de la Loi sur ladministration (J.O. No 108/98) qui interdit aux personnes ayant exercé des fonctions de responsabilité au sein de lappareil politique et administratif du Parti communiste bulgare doccuper de postes de responsabilité au sein de ladministration pendant cinq ans.
La Cour a signalé que le droit au travail, énoncé dans lart. 48 de la Constitution, est limité de façon inadmissible sur la base de lune des distinctions visées à lart. 6, al. 2 de la Constitution.
Le principe constitutionnel dinterdiction de la discrimination fondée sur les distinctions visée dans lart. 6, al. 2 de la Constitution est pris en considération par la Cour constitutionnelle aussi dans lexercice des compétences qui lui sont attribuées aux termes de lart. 149, al. 1, p. 4 de la Constitution. Par sa décision No 2 du 18 février 1998, affaire constitutionnelle No 15/97 (J.O. No22/98) la Cour sest prononcée sur la conformité à la Constitution de la Convention cadre pour la protection des minorités nationales. La Cour a statué que cette Convention est tout à fait conforme aux principes constitutionnels fondamentaux et en particulier à la disposition de lart. 6, al. 2 de la Constitution portant sur la limitation des droits des citoyens sur la base des distinctions de race, de religion, de nationalité et dappartenance ethnique.
Lautre principe constitutionnel dimportance, découlant de lart. 6, al. 2 de la Constitution, selon lequel la limitation légitime des droits des citoyens et létablissement de différences dans le régime juridique, sur la base des distinctions autres que celles visées dans lart. 6, al. 2, sont constitutionnellement admissibles, est également appliqué dans nombre de décisions de la Cour constitutionnelle.
A titre dexemple on peut citer la décision No 1du 11 février 1993, affaire constitutionnelle No 32/92, (J.O. No 14/93), par laquelle la Cour a statué que la Loi sur lapplication provisoire de certaines exigences complémentaires concernant des membres des directions des organisations scientifiques et de la Haute commission dattestation (J.O. No 104/92) nest pas contraire à la Constitution parce que les distinctions, visées dans lart. 6,al. de la Constitution, sont exhaustivement énumérées alors que la limitation des droits, sur la base dautres distinctions, est constitutionnellement admissible. Ainsi par exemple le principe du professionnalisme, visé dans la loi en question, nest pas cité dans lart. 6, al. 2 de la Constitution.
Par sa décision No 1 du 16 janvier 1997, affaire constitutionnelle No 27/96, (J.O. No 9/97), la Cour a rejeté la requête demandant létablissement dinconstitutionnalité du paragraphe 1 et du paragraphe 2 de la Loi modifiant et complétant la Loi sur la protection des dépôts et des comptes en banques de commerce pour lesquelles la Banque Nationale Bulgare a demandé louverture dune procédure de déclaration en faillite (J.O. No 90/96). La Cour a noté que la protection inégale, des déposants de la part de lEtat, dépasse, dans ce cas, la question de linadmissibilité du traitement inégal des citoyens, découlant de lart. 6, al. 2 de la Constitution.
La Cour a utilisé la même approche dans sa décision No 18 du 14 novembre 1997, affaire constitutionnelle No 12/97, (J.O. No 110/97). Par cette décision la Cour a rejeté la demande dinconstitutionnalité du texte de lart. 9, al. 1, p. 1 de la Loi sur les banques (J.O. No 52/97).
La Cour a considéré que lexigence à légard des membres du conseil dadministration et du conseil des directeurs davoir fait des études supérieures en droit ou économie nest pas une discrimination inadmissible aux termes de lat. 6, al. 2 parce que cette exigence de la loi ne figure pas parmi les distinctions, visées dans cet article.
Les exemples, cités de la pratique de la Cour constitutionnelle, qui devient, il faut le dire, pratique courante, témoigne clairement du rôle que la Cour constitutionnelle joue en matière de protection des droits des citoyens contre des dispositions de loi discriminatoires.