Yves GUENA
Président du Conseil constitutionnel
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
FRANÇAIS
Le Conseil constitutionnel français
a été institué par la Constitution française
du 4 octobre 1958, qui crée la Vème République. Bien
qu'ayant connu une évolution importante depuis sa création
le Conseil constitutionnel demeure une institution originale, qui a une
position spécifique tant au sein du système français
que parmi ses homologues étrangers.
Alors que pendant l'entre deux guerres et plus encore après la
seconde guerre mondiale, les Cours constitutionnelles se multiplient en
Europe, la France attend 1958 pour créer un Conseil constitutionnel.
En effet, l'organe créé par la Constitution du 27 octobre
1946 et intitulé « Comité constitutionnel »,
n'avait qu'un rôle mineur et formel, et ne constitue pas un réel
précédent de l'institution. Le caractère récent
de l'institution d'une Cour constitutionnelle s'explique par la tradition
constitutionnelle française profondément attachée
à la souveraineté absolue de la loi, « expression
de la volonté générale », selon les termes
de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789.
Lasse du régime d'assemblée
et de ses dérives sous les IIIème et IVème République,
la France va élaborer en 1958, sous l'impulsion du général
de Gaulle, une constitution nouvelle, dont l'objectif prioritaire sera
de redonner au pouvoir exécutif les moyens de gouverner. Sans renoncer
aux fondements du régime parlementaire, le constituant dresse de
façon limitative les attributions du Parlement. C'est d'abord pour
assurer le respect de ces limites qu'il crée le Conseil constitutionnel.
Parmi les compétences variées que confie à celui-ci
le constituant, le respect du partage des domaines respectifs de la loi
et du règlement, est, à l'époque, regardé
comme essentiel.
Nul ne prévoyait alors qu'à
l'instar des Cours constitutionnelles américaines ou européennes,
le Conseil constitutionnel serait amené à occuper la place
prééminente qui est aujourd'hui la sienne dans l'équilibre
institutionnel et dans la protection des libertés fondamentales.
LES ORIGINES ET L'EVOLUTION
DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Le titre VII de la Constitution du 4 octobre 1958 consacré au Conseil
constitutionnel lui donne une double mission : en matière électorale,
il joue un rôle important dans l'organisation des élections
présidentielles, (rôle accru depuis 1962 où l'élection
a désormais lieu au suffrage universel) puis dans leur contrôle
; il assure le contentieux des élections des députés
et sénateurs ; il organise les opérations de référendum
dont il proclame les résultats.
Le contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires
n'est pas, dans sa conception initiale, une des compétences essentielles
du Conseil constitutionnel. Comme il a été souligné,
le respect du domaine respectif de la loi et du règlement apparaît
comme la tâche principale du nouvel organe. A l'époque, la
possibilité de saisir le Conseil constitutionnel de la conformité
d'une loi ou d'un traité à la Constitution, avant leur entrée
en vigueur, était réservée à quatre autorités
seulement : le Président de la République, le Premier ministre
et chacun des Présidents des deux assemblées. Les saisines
étaient rares. Elles portaient pour l'essentiel sur les lois organiques
et le règlement des assemblées parlementaires qui, en vertu
de la Constitution, sont soumis au contrôle obligatoire du Conseil.
L'évolution juridique consistant à garantir le respect par
le législateur des droits fondamentaux à valeur constitutionnelle
s'est faite en deux étapes successives.
Le Conseil constitutionnel a tout
d'abord tranché un débat sur la portée normative
du Préambule de la Constitution de 1958, lequel fait référence
à celui de la Constitution de la IVème République
et à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789. Alors qu'une partie de la doctrine et des rédacteurs de
la Constitution ne voyaient dans les principes contenus dans ces textes
que des affirmations philosophiques dénuées de portée
juridique directe, le Conseil constitutionnel, implicitement dès
1970, puis par une décision expresse du 16 juillet 1971, en a reconnu
la pleine valeur normative. A cette occasion, il a fait ressortir du Préambule
de la Constitution de 1946 le caractère constitutionnel de la liberté
d'association, principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Le renforcement du rôle du
Conseil dans l'ordre juridique est aussi dû à la révision
constitutionnelle du 29 octobre 1974, qui a élargi à 60
députés ou à 60 sénateurs la possibilité
de contester la constitutionnalité d'une loi ordinaire. Cette réforme
a eu, dès son entrée en vigueur, un effet considérable
sur le nombre de saisines, mais aussi sur la nature des textes soumis
au contrôle de constitutionnalité. En effet, elle confère
à l'opposition un moyen de développer des arguments pour
contester la constitutionnalité de lois au contenu desquelles elle
n'adhère pas. La possibilité de saisir le Conseil constitutionnel
est ainsi devenue un pouvoir essentiel pour l'opposition parlementaire
Conçu initialement comme un arbitre ayant essentiellement pour
fonction de contrôler le respect du domaine de la loi par le législateur,
le Conseil s'est donc transformé en juge de la conformité
de la loi à l'ensemble des règles et principes à
valeur constitutionnelle
LA COMPOSITION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
La Constitution prévoit
en son article 56 que le Conseil constitutionnel est composé de
neuf membres, dont le mandat dure neuf ans et ne peut être reconduit
; cette disposition garantit l'indépendance de ses membres. Le
Conseil constitutionnel est renouvelé par tiers tous les trois
ans. En cas de décès ou de démission, l'autorité
de nomination désigne un nouveau conseiller pour la durée
du mandat restant à courir. Toutefois, une personne nommée
en remplacement d'un conseiller décédé ou démissionnaire
dont le mandat devait expirer avant trois ans, peut être nommée
à nouveau pour neuf ans.
Trois membres sont nommés par décision du Président
de la République, lequel désigne aussi le Président
du Conseil parmi l'ensemble des membres (pas seulement parmi ceux qu'il
a lui même désignés).
Liste des Présidents du Conseil constitutionnel
Membres Nomination en tant que Président Durée du mandat
Auteur de la nomination
Léon NOEL 20 février 1959 1959 - 1965 Charles DE GAULLE
Gaston PALEWSKI 23 février 1965 1965 - 1974 Charles DE GAULLE
Roger FREY 22 février 1974 1974 - 1983 Georges POMPIDOU
Daniel MAYER 21 février 1983 1983 - 1986 François MITTERRAND
Robert BADINTER 20 février 1986 1986 - 1995 François MITTERRAND
Roland DUMAS 24 février 1995 1995 - 2000 François MITTERRAND
Yves GUENA 1er mars
2000 2000 - Jacques CHIRAC
Trois membres sont nommés
par le Président de l'Assemblée nationale et trois autres
par le Président du Sénat. Peuvent faire l'objet d'une nomination
au Conseil constitutionnel tous les citoyens jouissant de leurs droits
civiques et politiques. Aucune condition de formation juridique ou autre
n'est exigée par la Constitution. En pratique, il est fait appel
à des personnalités dont la compétence est reconnue
dans le domaine du droit ou des sciences politiques. En outre, sont membres
de droit à vie du Conseil constitutionnel les anciens Présidents
de la République. Jusqu'à présent, seuls deux Présidents
de la IVème République, le Président René
Coty et le Président Vincent Auriol, y ont siégé
en cette qualité. Le seul ancien Président de la Vème
République non décédé qui pourrait y sièger
actuellement, M. Valéry Giscard d'Estaing, ne le peut en raison
d'une incompatibilité avec sa fonction de parlementaire
Sauf dans les cas de remplacement en cours de mandat, l'entrée
en fonction a lieu au début du mois de mars tous les trois ans.
Les membres nommés au Conseil constitutionnel prêtent serment
devant le Président de la République. Ils jurent de «
bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de les exercer en
toute impartialité dans le respect de la Constitution, ainsi que
de garder le secret des délibérations et des votes. »
Seuls les membres de droit sont dispensés de prêter serment.
Le statut des membres du Conseil constitutionnel est en grande partie
défini par l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique
relative au Conseil constitutionnel, plusieurs fois modifiée, et,
à titre complémentaire, par un décret du 13 novembre
1959 relatif à leurs obligations. Celles-ci se définissent
principalement par la réserve qu'ils sont tenus de respecter, et
par le régime strict des incompatibilités qui leur est applicable.
Le régime des incompatibilités prescrit par l'article 57
de la Constitution interdit le cumul de la fonction de membre du Conseil
constitutionnel avec celle de ministre ou de membre du Parlement.
L'ordonnance du 7 novembre 1958 complète et précise l'article
57 de la Constitution, disposant en particulier que les fonctions de membre
du Conseil constitutionnel sont incompatibles avec celles de membre du
Conseil économique et social. Depuis l'entrée en vigueur
de la loi organique du 19 janvier 1995, les membres du Conseil constitutionnel
ne peuvent plus acquérir de mandat électif ou exercer une
fonction de conseil qui n'était pas la leur avant le début
de leur mandat. Les incompatibilités applicables aux membres du
Parlement leur sont également applicables. Le décret du
13 novembre 1959 leur interdit en outre d'occuper pendant la durée
de leurs fonctions tout poste de responsabilité ou de direction
au sein d'un parti ou d'un groupement politique. En cas de difficulté,
le Conseil statue sur la compatibilité entre la qualité
de membre et l'activité en cause.
L'ADMINISTRATION DU CONSEIL
CONSTITUTIONNEL
Pour accomplir sa mission, le
Conseil constitutionnel dispose d'une administration en nombre réduit.
Toutes catégories confondues c'est environ cinquante collaborateurs
qui la constituent. Ils sont soit détachés de leur administration
d'origine, soit recrutés par voie contractuelle. Seuls les postes
de secrétaire général et de trésorier sont
prévus par les textes. Le décret du 13 novembre 1959 dispose
que « le secrétaire général prend les mesures
nécessaires à la préparation et à l'organisation
des travaux du conseil ». Un service juridique est rattaché
au secrétariat général, composé traditionnellement
d'un administrateur de l'assemblée nationale, d'un magistrat judiciaire
et d'un magistrat administratif. Grâce à eux, le travail
législatif peut être suivi en amont des saisines et les difficultés
repérées précocement. Le service administratif et
financier dont le chef de service est le Trésorier du Conseil assure
le fonctionnement administratif du Conseil, tandis qu'ont été
crées un service du greffe et de l'informatique, un service de
documentation, de la bibliothèque et du site internet du conseil.
Le Conseil offre en effet une information complète et constamment
actualisée sur ses décisions (qui y sont reproduites quelques
heures après leur prononcé), ses missions, son fonctionnement
et ses activités extérieures (notamment internationales).
A été créé en 1995 un service des relations
extérieures qui est en charge aussi bien des relations internationales
que des relations avec la presse, les universités et avec le public.
Le Conseil constitutionnel siège
depuis sa création dans l'aile Montpensier du Palais Royal, à
Paris. Voisin du Conseil d'Etat, du Ministère de la Culture et
de la Comédie française, il a succédé dans
ces locaux à la Cour des Comptes et au Conseil économique
et social.
Bâti par le Cardinal de Richelieu à partir de 1624, le Palais-Royal
fut habité par Anne d'Autriche puis par les Orléans jusqu'à
la Révolution. Son aile Montpensier fut la demeure de Jérôme
Bonaparte, frère de Napoléon Ier, puis sous le Second Empire
celle de son fils Jérôme qui la fit redécorer pour
la princesse Marie-Clotilde de Savoie, son épouse.
LES ATTRIBUTIONS DU CONSEIL
CONSTITUTIONNEL
Outre ses fonctions essentielles
en matière de contrôle de constitutionnalité des normes
et de contrôle de la régularité des grandes consultations
politiques, le Conseil constitutionnel est appelé à statuer
ou donner son avis sur certaines situations juridiques.
A) - La vérification de
la constitutionnalité des normes juridiques représente l'activité
primordiale du Conseil
a) - S'agissant des lois, ce contrôle prend la forme d'un contrôle
a priori, c'est-à-dire exercée avant l'entrée en
vigueur de ces normes. Une norme déclarée contraire à
la Constitution ne peut être mise en vigueur. Une loi déclarée
partiellement contraire à la Constitution peut tout de même
être promulguée pour sa partie séparable des dispositions
censurées.
Le journal officiel publiera alors la loi en mentionnant en face des articles
censurés : « article déclaré non conforme à
la constitution par le Conseil constitutionnel » Il est fréquent
que le Gouvernement dépose un nouveau projet de loi sur les dispositions
censurées afin de les rendre conformes à la Constitution.
Il est également possible pour le Président de la République,
aux termes de la Constitution, de soumettre le texte à une nouvelle
lecture du Parlement, que ce dernier ne peut refuser ; cette possibilité
est rarement utilisée
Le contrôle de constitutionnalité repose sur l'application
de normes de référence au respect desquelles les lois sont
soumises. L'ensemble de ces normes forme ce que l'on a souvent appelé
"le bloc de constitutionnalité". Il se compose de la
Constitution de 1958 proprement dite, de Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen de 1789 et du Préambule de la Constitution
de 1946. Le Préambule de la Constitution de 1946 fait lui-même
référence à des principes politiques, économiques
et sociaux "particulièrement nécessaires à notre
temps", ainsi qu'aux "principes fondamentaux reconnus par les
lois de la République".
Les "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République"
sont ceux qui se dégagent, par leur importance et leur continuité,
de la législation républicaine édictée avant
l'entrée en vigueur de la Constitution de la IVème République.
Outre la liberté d'association, ils comprennent en particulier
la liberté individuelle, la liberté de conscience, la liberté
de l'enseignement, le respect des droits de la défense, l'indépendance
des professeurs d'université, le domaine de compétence et
l'indépendance de la juridiction administrative, le rôle
de l'autorité judiciaire en qualité de gardienne de la propriété
individuelle. Dans une décision toute récente du 29 août
2002, relative à la loi d'orientation et de programmation pour
la justice, le Conseil a dégagé un nouveau principe fondamental
reconnu par les lois de la République : il se rapporte à
la protection pénale des mineurs.
En 1973, par une décision relative à la loi de finances
pour 1974, le Conseil a consacré le principe d'égalité
devant la loi tel qu'il est contenu dans la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen de 1789. Depuis lors, l'application de ce principe
est très souvent en cause.
D'autres principes ou objectifs de valeur constitutionnelle ne trouvent
pas nécessairement leur source directe dans une norme écrite
de la Constitution, de la Déclaration des Droits de l'Homme ou
du Préambule de la Constitution de 1946. Ils résultent de
la prise en compte de leur combinaison : les principes de la dignité
de la personne humaine et de la continuité du service public se
sont ainsi vus reconnaître le rang de principes à valeur
constitutionnelle ; la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la
liberté d'autrui, la préservation du caractère pluraliste
des courants d'expression socio-culturels, la possibilité pour
toute personne de disposer d'un logement décent, l'accessibilité
et l'intelligibilité de la loi se sont vu reconnaître le
statut d'objectifs à valeur constitutionnelle. D'autres exigences
, comme la liberté contractuelle, ont un statut constitutionnel
encore en devenir.
Le Conseil constitutionnel est ainsi amené à garantir le
respect de libertés et de droits essentiels tels que le respect
de la liberté individuelle (décisions du 12 janvier 1977
et du 18 janvier 1995 relatives à la fouille des véhicules),
la protection de la santé de la mère et de l'enfant et le
respect de la liberté de conscience (décision du 15 janvier
1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse), le droit
de grève (décision du 25 juillet 1979 concernant le droit
de grève à la radio et à la télévision),
la liberté d'aller et venir (décision des 19 et 20 janvier
1981 relative à la loi renforçant la sécurité
et la liberté des personnes), l'inviolabilité du domicile
(décision du 29 décembre 1983 relative à la loi de
finances pour 1984), la liberté du mariage, le droit de mener une
vie familiale normale et le droit au regroupement familial (décision
du 13 août 1993 concernant la loi relative à la maîtrise
de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour
des étrangers en France), la sauvegarde de la dignité de
la personne humaine (décision du 27 juillet 1994 concernant la
loi relative au respect du corps humain et la loi relative à l'utilisation
des éléments et produits du corps humain, à l'assistance
médicale, à la procréation et au diagnostic prénatal),
la liberté d'expression des idées et des opinions (décision
du 29 juillet 1994 concernant la loi relative à l'emploi de la
langue française), et les principes fondamentaux du droit pénal
et répressif : caractère personnel de la faute, nécessité
d'un élément moral pour définir un crime ou un délit
(décision du 16 juin 1999 relative à la loi sur la sécurité
routière).
En vertu de l'article 61, alinéa 1, le Conseil constitutionnel
est saisi obligatoirement des lois organiques avant leur promulgation,
et des règlements des assemblées parlementaires et de leurs
modifications avant leur mise en application.
Les lois ordinaires, on l'a vu, sont soumises que sur saisine du Président
de la République, du Premier Ministre, du Président de l'Assemblée
nationale, du Président du Sénat ou de soixante députés
ou sénateurs (article 61, alinéa 2). Les autorités
habilitées à saisir le Conseil disposent d'un délai
court entre le moment où la loi est définitivement votée
et le moment où le Président de la République la
promulgue. En effet, l'article 10 de la Constitution fixe au Président
de la République un délai maximum de 15 jours pour promulguer
la loi sans prévoir de délai minimum, délai qui se
trouve, de fait, être celui dont disposent les requérants
pour saisir le Conseil. Mais, en pratique, le secrétariat général
du gouvernement s'assure, avant d'entamer la procédure de promulgation,
qu'aucune saisine n'est en gestation. La requête est introduite
par une lettre adressée au Président du Conseil constitutionnel,
sans condition particulière de présentation (en dehors de
la signature). La motivation des requêtes n'est pas exigée,
même si elle s'est généralisée.
En vertu de l'article 61 de la Constitution, le Conseil est saisi de la
loi dans sa totalité, bien que la requête ne porte, dans
la plupart des cas, que sur une partie de ses articles. Il n'est donc
pas tenu par les moyens ou l'objet de la saisine et reste libre de faire
porter son contrôle non seulement sur les seules dispositions contestées,
mais encore sur d'autres dispositions. Toutefois, le Conseil ne se prononce
sur les articles non contestés que s'il les examine d'office. Aucun
"brevet de constitutionnalité" n'est délivré
aux dispositions non contestées et non examinées d'office.
Sur le plan psychologique, il faut souligner que le Conseil constitutionnel,
à la différence de la plupart des autres cours constitutionnelles,
intervient « à chaud » et sur tout un ensemble de dispositions
controversées. A cet égard, son intervention joue souvent
un rôle d'apaisement. En contrepartie, ses décisions sont
naturellement exposées au risque de la critique politique.
Les lois référendaires, adoptées par le peuple souverain,
ne sont pas soumises au contrôle de constitutionnalité. Ce
principe établi par une décision du 6 novembre 1962 relative
à la loi référendaire modifiant le mode d'élection
du Président de la République, a été réaffirmé
par la décision du 23 septembre 1992, relative à la loi
autorisant la ratification du Traité de Maastricht adoptée
à la suite d'un référendum. Il a été
souligné à cette occasion que les lois que la Constitution
a entendu soumettre au contrôle de constitutionnalité "sont
uniquement les lois votées par le Parlement et non celles qui,
adoptées par le peuple français à la suite d'un référendum,
constituent l'expression directe de la souveraineté nationale".
Le Conseil constitutionnel est aussi habilité à se prononcer
sur la répartition des compétences entre la loi et le règlement.
Il peut le faire de deux manières.
Au cours du débat législatif, en vertu de l'article 41 de
la Constitution, le Conseil constitutionnel statue, en cas de désaccord
entre le Gouvernement et le Président de l'assemblée intéressée,
à la demande de l'un ou de l'autre, dans un délai de huit
jours, s'il apparaît au cours de la procédure législative
qu'une proposition ou un amendement n'est pas du domaine de la loi ou
est contraire à une délégation accordée en
vertu de l'article 38 lequel autorise le Gouvernement à prendre
par ordonnances des mesures qui sont du domaine de la loi. Ce mode de
saisine n'a été utilisé que 11 fois depuis 1959,
et jamais depuis une décision du 23 mai 1979.
Après promulgation de la loi, le Conseil constitutionnel, saisi
en vertu de l'article 37, alinéa 2, par le Premier ministre, prononce
le déclassement d'un texte de forme législative dans le
cas où ce dernier est intervenu dans le domaine réglementaire.
Le déclassement permet au Gouvernement de retrouver sa compétence
réglementaire pour modifier le texte. Cette attribution concerne
les seuls textes adoptés après l'entrée en vigueur
de la Constitution. Pour les lois antérieures à la Constitution
de 1958, portant sur des matières qui ne sont plus législatives
en application de la répartition des compétences entre la
loi et le règlement opérée par les articles 34 et
37 de la Constitution, l'avis du Conseil d'Etat suffit pour « déclasser
» le texte.
b) Le Conseil constitutionnel peut se prononcer sur la conformité
d'un engagement international à la Constitution. A cette fin, il
est saisi par le Président de la République, le Premier
ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président
du Sénat et, depuis la révision constitutionnelle du 25
juin 1992, par 60 députés ou 60 sénateurs. En vertu
de l'article 54 de la Constitution, si un traité ou un accord international
comporte une clause contraire à la Constitution, la ratification
ou l'approbation ne peut intervenir qu'après révision de
la Constitution. Il convient d'observer que le Conseil peut également
être saisi de la loi de ratification d'un traité avant sa
promulgation (article 61).
C'est sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, que le Conseil
constitutionnel a été amené à juger sur quels
points les modifications de la Constitution étaient rendues nécessaires
par l'adoption du Traité de Maastricht (décision du 9 avril
1992), du Traité d'Amsterdam (décision du 31 décembre
1997), du Traité portant statut de la Cour pénale internationale
(décision du 22 janvier 1999) et de la Charte des langues régionales
ou minoritaires (décision du 15 juin 1999).
c) - Une procédure simple
et informelle
Les textes n'ont prévu aucune
procédure particulière pour l'exercice du contrôle
de constitutionnalité des lois. La Constitution se borne à
indiquer les délais impartis au Conseil constitutionnel pour rendre
ses décisions. Il statue dans le délai d'un mois, mais ce
délai peut être ramené à huit jours si le Gouvernement
déclare l'urgence, ce qui est exceptionnel. Dans la pratique, la
procédure mise en oeuvre pour le contrôle de constitutionnalité
présente les principaux caractères du droit commun processuel
(caractère contradictoire de la procédure, caractère
secret du délibéré). Elle est proche de celle suivie
par le juge administratif, comme en témoigne notamment son caractère
écrit.
Trois grandes phases ponctuent l'examen auquel procède le Conseil.
La première s'ouvre avec la nomination parmi les membres, par le
Président, d'un rapporteur chargé de l'instruction du dossier.
Celui-ci mène alors, avec l'aide du secrétariat général,
les investigations juridiques nécessaires.
La deuxième phase assure le caractère contradictoire de
la procédure, puisque le rapporteur entend les observations du
secrétariat général du Gouvernement. Ces observations
sont ensuite formulées par écrit et transmises aux auteurs
de la saisine, qui peuvent alors répondre par la production d'un
mémoire en réplique.
Une large diffusion de ces échanges est désormais assurée
par la publication au Journal officiel des saisines opérée
depuis juin 1983 et des observations en réponse du Gouvernement
acquise depuis décembre 1994.
La prise de décision constitue la troisième et dernière
phase de la procédure. Le Conseil se réunit alors à
huis clos sur convocation du Président pour délibérer.
Un quorum de sept conseillers est nécessaire, sauf cas de force
majeure constatée au procès-verbal. Le Conseil peut déclarer
la loi conforme à la Constitution ou prononcer une censure totale
ou partielle de ses dispositions. Toutefois, les solutions ne sont pas
toujours aussi tranchées, et il arrive que le Conseil adopte une
démarche plus nuancée. C'est le cas lorsque, tout en déclarant
une disposition conforme à la Constitution, il formule à
l'attention des autorités chargées de son application, autorités
administratives et juridictionnelles, une réserve d'interprétation.
La loi n'est donc déclarée conforme qu'en tenant compte
de cette interprétation que l'on qualifie parfois de "neutralisante".
Les réserves font partie intégrante de la décision
et en ont la valeur juridique.
B) L'examen de la régularité des consultations nationales
constitue le second aspect important de l'activité du Conseil
En vertu des articles 58, 59 et 60 de la Constitution, le Conseil constitutionnel
est compétent pour les consultations nationales que sont les élections
législatives, sénatoriales, l'élection présidentielle
et le référendum. Pour les deux dernières, il est
investi de compétences à la fois consultatives, opérationnelles
et contentieuses.
a) L'élection présidentielle
En vertu de l'article 58 de la Constitution, "le Conseil constitutionnel
veille à la régularité de l'élection du Président
de la République. Il examine les réclamations et proclame
les résultats du scrutin".
Le Conseil intervient donc à toutes les phases de l'élection
présidentielle. Pour remplir sa mission, il bénéficie
de la collaboration de dix rapporteurs adjoints paritairement choisis
parmi les maîtres des requêtes au Conseil d'Etat et les conseillers
référendaires à la Cour des comptes. Les textes ne
prévoient aucune procédure particulière. Aussi le
Conseil se réunit-il en assemblée plénière
pour statuer sur toutes les questions qui lui sont posées.
Le Conseil est consulté par le Gouvernement sur tous les textes
organisant les opérations électorales : calendrier, formulaires
de présentation d'un candidat, déroulement du scrutin...
Ses avis ne sont pas rendus publics.
Ensuite, le Conseil intervient avant le début du scrutin pour établir
la liste des candidats. Il vérifie si chaque candidat à
l'élection présidentielle dispose effectivement des 500
signatures (parrainages) exigées par la loi et si, parmi les signataires,
figurent des élus d'au moins trente départements ou territoires
d'outre-mer, sans que plus d'un dixième d'entre eux puissent être
les élus d'un même département ou territoire d'outre-mer.
Il s'assure de la régularité des candidatures au regard
des autres conditions posées par la loi.
Il veille aussi au bon déroulement des opérations électorales
et envoie sur place de très nombreux délégués,
choisis parmi les magistrats de l'ordre judiciaire ou administratif, qui
sont investis d'une mission de conseil et de contrôle. Le Conseil
peut être saisi par ces derniers lorsqu'ils constatent des irrégularités
ou, dans les quarante-huit heures suivant la clôture du scrutin,
par le préfet ou le représentant d'un candidat. Il peut
être également saisi par les électeurs, mais uniquement
par le biais d'une réclamation faite au procès-verbal du
bureau de vote.
Après le premier tour de scrutin, le Conseil constitutionnel, ayant
tiré les conséquences des irrégularités constatées
dans les bureaux de vote, rend publics les résultats obtenus par
les candidats. Il arrête les noms des deux candidats admis à
se présenter au second tour. A l'issue de ce dernier, il proclame,
dans un délai maximum de dix jours, les résultats définitifs
et le nom du Président élu.
Ensuite, il appartient au Conseil de contrôler les comptes de campagne
qui ont été déposés par les candidats deux
mois au plus tard après l'élection en vérifiant le
respect des règles de financement des campagnes, notamment celui
des plafonds des dépenses.
Après avoir mis en oeuvre une procédure contradictoire,
le Conseil approuve le plus souvent après réformation ou
rejette les comptes des candidats. En cas de non dépôt du
compte, de dépassement du plafond légal des dépenses
ou de rejet du compte par le Conseil constitutionnel, le candidat n'est
pas déclaré inéligible, mais il perd le droit ouvert
par la loi au remboursement des dépenses qu'il a personnellement
engagées.
b) Le référendum
En vertu de l'article 60 de la Constitution "le Conseil veille à
la régularité des opérations de référendum
et en proclame les résultats". Le chapitre VII de l'ordonnance
portant loi organique du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel
complète et précise cette disposition. Il prévoit
que le Conseil est consulté par le Gouvernement sur l'organisation
des opérations de référendum.
Pendant le scrutin référendaire, le Conseil veille au bon
déroulement des opérations électorales. Comme pour
les élections présidentielles il désigne des délégués
qui effectuent un contrôle sur place.
Après le scrutin, il assure directement le recensement général
des votes, examine et tranche définitivement toutes les réclamations
des électeurs et peut, dans le cas où il relève de
graves irrégularités, prononcer l'annulation des suffrages
obtenus dans les bureaux concernés. Enfin il proclame les résultats.
Il exerce ces fonctions avec le concours des rapporteurs adjoints.
c) Les élections à l'Assemblée nationale et au Sénat
La Constitution de 1958 rompt avec la tradition parlementaire qui confiait
aux assemblées elles-mêmes le contrôle de la régularité
de l'élection des députés et des sénateurs.
Cette tradition avait donné lieu à des abus. Le contentieux
appartient depuis 1958 au juge constitutionnel.
L'article 59 de la Constitution prévoit en effet que "le Conseil
constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité
de l'élection des députés et sénateurs".
L'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel
précise le rôle qui lui incombe en disposant que "pour
le jugement des affaires qui lui sont soumises, le Conseil constitutionnel
a compétence pour connaître de toute question et exception
posées à l'occasion de la requête. En ce cas, sa décision
n'a d'effet juridique qu'en ce qui concerne l'élection dont il
est saisi".
Sa compétence contentieuse est donc pleine et entière dans
ce domaine. Mais le Conseil n'intervient qu'en qualité de juge
de l'élection, après le déroulement des opérations
électorales. Il n'est investi d'aucun pouvoir consultatif. Il accepte
toutefois de se prononcer, à titre exceptionnel, sur un acte préparatoire
dans la mesure où l'irrecevabilité opposée à
une requête préalable portant sur un tel acte pourrait ensuite
le conduire à remettre en cause la totalité du déroulement
des élections.
Le droit de contester une élection appartient à toutes les
personnes inscrites sur les listes électorales de la circonscription
concernée, ainsi qu'aux personnes ayant fait acte de candidature
dans cette circonscription. Mais, depuis l'entrée en vigueur de
la loi du 15 janvier 1990, le Conseil constitutionnel doit aussi être
saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements
politiques en cas d'absence de dépôt ou de rejet du compte
de campagne. Le Conseil déclare alors, le cas échéant,
l'inéligibilité et donc la cessation du mandat du candidat
si celui-ci a été élu. Les griefs relatifs à
la méconnaissance de la législation sur le financement des
campagnes peuvent également être invoqués par les
requérants. La Commission nationale des comptes de campagne et
des financements politiques en est alors avisée.
Après avoir statué sur sa compétence, le Conseil
doit appliquer la procédure particulière prévue aux
articles 36 et suivants de l'ordonnance de 1958 complétée
par son règlement intérieur.
Le Conseil s'organise en trois sections composées chacune de trois
membres désignés par tirage au sort. Les affaires peuvent
être instruites avec l'aide des rapporteurs-adjoints.
C) Les autres attributions du Conseil constitutionnel
Saisi par le Gouvernement, le Conseil constitutionnel peut être
amené à constater l'empêchement du Président
de la République d'exercer ses fonctions.
En cas de circonstances exceptionnelles, liées à l'interruption
du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président
de la République est tenu de consulter le Conseil constitutionnel
sur les mesures qu'il prend en vertu de l'article 16 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel est en outre amené à se prononcer
sur l'incompatibilité entre le mandat parlementaire d'un élu
et ses autres fonctions. Il est saisi assez souvent à cet égard
par le bureau de l'assemblée concernée.
Le Conseil constate, enfin, à la demande de l'assemblée
concernée ou du Garde des Sceaux, la déchéance d'un
parlementaire. Cette procédure a été de plus en plus
souvent utilisée au cours des dernières années. Il
ne faut pas cacher que cette évolution est en relation avec le
développement des « affaires » politico-financières
en France.
FORME ET EFFETS DES DECISIONS
Les décisions du Conseil
constitutionnel, rendues en la forme juridictionnelle, ne sont susceptibles
d'aucun recours. Aux termes de l'article 62 de la Constitution, elles
s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles. Depuis mai 1995, le nom des membres
ayant assisté à la séance figure au bas de toutes
les décisions. Celles-ci sont publiées au Journal officiel
de la République française.
UNE POLITIQUE DE COMMUNICATION
ET DE COOPERATION
Le Conseil constitutionnel s'attache
à faire connaître son activité pour la rendre plus
transparente : il le fait à travers son site internet (www.conseil-constitutionnel.fr),
qui publie, comme il a été souligné, ses décisions
en temps réel. Ce site fournit également un grand nombre
d'informations sur ses missions, son organisation et aussi l'ensemble
de ses activités extérieures. Par ailleurs le Conseil constitutionnel
publie annuellement un recueil de toutes ses décisions ; les abstracts
et résumés y sont traduits en langue anglaise. Il fait paraître
également une revue semestrielle intitulée « Les cahiers
du Conseil constitutionnel » ordonnées autour d'un thème
juridique d'actualité et de la présentation d'une cour constitutionnelle
étrangère ; y figurent également des commentaires
de ses décisions récentes.
Il convient d'ajouter que le Conseil constitutionnel accueille de nombreux
représentants de Cours constitutionnelles étrangères,
d'enseignants et de chercheurs d'universités françaises
ou étrangères, aussi bien que de personnalités diverses
(parlementaires, etc
). Une coopération avec les deux Cours
suprêmes françaises, le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation
permet d'enrichir les échanges avec les visiteurs étrangers.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel français est très
soucieux de participer à la réflexion et au travail commun
des Cours constitutionnelles.
Il le fait en premier lieu dans un cadre européen : la Conférence
des Cours constitutionnelles européennes (dont la XIIème
conférence s'est tenue à Bruxelles en mai 2002) ou la «
Commission de Venise », et notamment sa sous-commission «
Justice constitutionnelle ». Celle-ci est à l'origine de
la base de données « CODICES », où figurent
désormais les principales décisions d'environ 70 Cours constitutionnelles,
et qui est mise à jour chaque trimestre. Un colloque a réuni
en septembre 1997, au siège du Conseil, les cours constitutionnelles
de l'Union européenne sur le thème des rapports entre droit
communautaire et droit constitutionnel.
Au-delà des cours européennes, le Conseil contribue activement
à la vie de l'ACCPUF (association des cours constitutionnelles
ayant en partage l'usage du français) créée en 1997.
Le Conseil constitutionnel français, membre fondateur de l'ACCPUF,
en est un des piliers, en raison de sa position au sein de la francophonie,
mais aussi parce qu'il y abrite le secrétariat général
(www.ACCPUF.org). Regroupant 40 cours constitutionnelles, dont 28 cours
africaines, dont la caractéristique commune est l'appartenance
à l'organisation intergouvernementale de la francophonie, l'association
se révèle un lieu de dialogue, d'échanges et de formation.
S'il fallait tenter de dégager l'inspiration commune qui anime
les membres de l'ACCPUF, c'est de participation à la construction
d'un Etat de droit qu'il conviendrait de parler.
*
* * *
A l'aube du nouveau millénaire,
déjà secoué par des événements dramatiques,
le Conseil constitutionnel français, création récente
et originale, a su trouver sa place dans l'équilibre institutionnel
français. L'ouverture de sa saisine aux parlementaires en 1974,
dans laquelle on a pu voir l'amorce d'un statut de l'opposition, s'est
exprimée par une augmentation quantitative de son activité
tout à fait importante. De 1959 à 1974, seulement 9 décisions
sur le contrôle des lois ordinaires étaient intervenues,
soit moins de une par an ; de 1975 à 2002 ce sont 444 décisions
qui ont été rendues en cette matière, soit une moyenne
de près de 15 par an. Plus encore, le contenu des décisions
sur le fond a bouleversé le simple rôle de « gardien
des frontières » que le constituant avait imaginé
: créé pour contenir un Parlement trop puissant, le Conseil
constitutionnel allait finalement réguler l'activité d'un
exécutif activiste. Sous la Vème République, plus
de 90% des lois sont en effet d'origine gouvernementale.
Ajoutant à son rôle éminent de régulateur de
l'activité des pouvoirs publics, il a patiemment construit celui
de protecteur des droits et libertés fondamentaux. Prenant appui
sur les grands textes qui fondent la tradition des droits individuels
exprimés dans la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789, il les a complétés par l'affirmation des
droits économiques et sociaux particulièrement nécessaires
à notre temps, tels qu'ils ont été affirmés
par le constituant de 1946 au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Plus encore il a su adapter un « bloc de constitutionnalité
» parfois ancien (Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen de 1789) à l'évolution très rapide des moeurs
et des techniques (on pense aux décisions concernant la bioéthique
ou la communication audiovisuelle).
Ce bilan révèle un souci d'équilibre constamment
réaffirmé entre le nécessaire respect des règles
individuelles et celui de l'intêrèt général
. Sans le nommer expressément c'est au concept de sécurité
juridique, élément de la sûreté défini
par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen,
que le Conseil se réfère expressément :
Ø L'exigence d'accessibilité et d'intelligibilité
de la loi, dont le Conseil constitutionnel (décision du 16 décembre
1999) fait un «objectif de valeur constitutionnelle, se rapporte
à cette notion. La loi doit être claire pour assurer la garantie
des droits des citoyens
Ø De même, la sécurité juridique impose des
exigences concernant l'élaboration de la loi. L'impératif
de sincérité qui s'attache par exemple à l'examen
des textes financiers (lois de finances et lois de financement de la Sécurité
sociale) exigera que soit transmis en temps utile au Parlement les documents
permettant une information correcte des parlementaires.
Ø De même, le Conseil a veillé à ce que l'usage
du droit d'amendement en fin de procédure parlementaire ne dénature
l'esprit bicamériste du parlementarisme français et ne permette
au Gouvernement d'imposer ses vues en trompant la vigilance du Parlement.
Ø Enfin, le Conseil constitutionnel n'acceptera une disposition
rétroactive que si elle est justifiée par un intérêt
général suffisant et interdira purement et simplement la
rétroactivité des dispositions pénales plus sévères.
Les exemples de ce souci de sécurité juridique pourraient
être multipliés.
Cette fonction de protecteur des droits fondamentaux témoigne aussi
et peut-être surtout de la convergence des Cours suprêmes
nationales et européennes vers une conception universelle des valeurs
démocratiques.
Au plan national on aurait pu imaginer des divergences de jurisprudence
importantes, notamment avec les cours suprêmes judiciaire (Cour
de cassation) et administrative (Conseil d'Etat). La première est
proclamée par la Constitution (article 66) gardienne de la liberté
individuelle, tandis que la seconde, le Conseil d'Etat, a depuis la fin
du XIXème siècle, soumis le pouvoir exécutif dont
elle contrôle les actes, au respect des libertés parfois
définies de manière prétorienne. Force est de constater
une grande convergence entre les jurisprudences de ces cours et du Conseil
constitutionnel en matière de protection des droits fondamentaux.
Au plan européen et international, même si le Conseil constitutionnel
ne contrôle pas la conformité des lois à la Convention
européenne des droits de l'homme, ni de manière plus générale
aux traités, on peut relever une convergence spontanée des
droits garantis (et un catalogue très voisin des libertés
et droits fondamentaux), comme des méthodes d'interprétation
et de contrôle utilisés. A cet égard le Conseil constitutionnel
français est partie prenante de ce nouveau dialogue, particulièrement
intense depuis une quinzaine d'années, entre Cours suprêmes
nationales et Cours européennes. Ce dialogue concourt à
la construction de ce que l'on a pu appeler un « ordre public européen
».
EXTRAITS DE LA CONSTITUTION
DU 4 OCTOBRE 1958
Titre VII - Le Conseil Constitutionnel
Article 56 :
Le Conseil Constitutionnel comprend neuf membres, dont le mandat dure
neuf ans et n'est pas renouvelable. Le Conseil Constitutionnel se renouvelle
par tiers tous les trois ans. Trois des membres sont nommés par
le Président de la République, trois par le Président
de l'Assemblée Nationale, trois par le Président du Sénat.
En sus des neuf membres prévus ci-dessus, font de droit partie
à vie du Conseil Constitutionnel les anciens Présidents
de la République.
Le Président est nommé par le Président de la République.
Il a voix prépondérante en cas de partage.
Article 57 :
Les fonctions de membre du Conseil
Constitutionnel sont incompatibles avec celles de ministre ou de membre
du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par
une loi organique.
Article 58 :
Le Conseil Constitutionnel veille à la régularité
de l'élection du Président de la République.
Il examine les réclamations et proclame les résultats du
scrutin
Article 59 :
Le Conseil Constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité
de l'élection des députés et des sénateurs.
Article 60 :
Le Conseil Constitutionnel veille à la régularité
des opérations de référendum et en proclame les résultats.
Article 61 :
Les lois organiques, avant leur promulgation, et les règlements
des assemblées parlementaires, avant leur mise en application,
doivent être soumis au Conseil Constitutionnel qui se prononce sur
leur conformité à la Constitution.
Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées
au Conseil Constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président
de la République, le Premier Ministre, le Président de l'Assemblée
Nationale, le Président du Sénat ou soixante députés
ou soixante sénateurs.
Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents,
le Conseil Constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois.
Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai
est ramené à huit jours.
Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil Constitutionnel suspend
le délai de promulgation.
Article 62 :
Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être
promulguée ni mise en application.
Les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun
recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les
autorités administratives et juridictionnelles.
Article 63 :
Une loi organique détermine les règles d'organisation et
de fonctionnement du Conseil Constitutionnel, la procédure qui
est suivie devant lui et notamment les délais ouverts pour le saisir
de contestations.
Article 16 :
Lorsque les institutions de la République, l'indépendance
de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution
de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière
grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des
pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président
de la République prend les mesures exigées par ces circonstances,
après consultation officielle du Premier Ministre, des Présidents
des assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel.
Il en informe la Nation par un message.
Ces mesures doivent être inspirées par la volonté
d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais,
les moyens d'accomplir leur mission. Le Conseil Constitutionnel est consulté
à leur sujet.
Le Parlement se réunit de plein droit.
L'Assemblée Nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice
des pouvoirs exceptionnels.
.
Article 37 :
Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont
un caractère réglementaire.
Les textes de forme législative intervenus en ces matières
peuvent être modifiés par décrets pris après
avis du Conseil d'Etat. Ceux de ces textes qui interviendraient après
l'entrée en vigueur de la présente Constitution ne pourront
être modifiés par décret que si le Conseil Constitutionnel
a déclaré qu'ils ont un caractère réglementaire
en vertu de l'alinéa précédent.
..
Article 41 :
S'il apparaît au cours de la procédure législative
qu'une proposition ou un amendement n'est pas du domaine de la loi ou
est contraire à une délégation accordée en
vertu de l'article 38, le Gouvernement peut opposer l'irrecevabilité.
En cas de désaccord entre le Gouvernement et le Président
de l'assemblée intéressée, le Conseil Constitutionnel,
à la demande de l'un ou de l'autre, statue dans un délai
de huit jours
..
Article 54 :
Si le Conseil Constitutionnel, saisi par le Président de la République,
par le Premier Ministre, par le Président de l'une ou l'autre assemblée
ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a
déclaré qu'un engagement international comporte une clause
contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver
l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après
révision de la Constitution.
SUMMARY
The French Constitutional Council
was created by the Constitution of the Fifth Republic on 4 October 1958.
It is a recent institution in France, though such constitutional courts
had already existed in Europe since the 1920s and had become even more
common after the second world war. The idea of judicial review for constitutionality
of Acts of Parliament is something of a novelty in France; the idea was
long rejected on grounds of the absolute sovereignty of Parliament as
the "expression of the will of the people".
The Constitutional Council is made up of nine members appointed for a
non-renewable term of nine years to guarantee their independence. Three
members are appointed by the President of the Republic, who also designates
the President of the Council, three by the Speaker of the National Assembly
and three by the Speaker of the Senate. Former Presidents of the Republic
are ex officio members for life; in practice the only one still alive
at the moment is a Member of Parliament, which is a function incompatible
with membership of the Council. Members have a very strict duty of discretion
and are subject to several forms of incompatibility (office of Minister,
Member of Parliament, member of local elective councils, Member of the
Economic and Social Council and so on. And the incompatibilities that
apply to Members of Parliament also apply to Members of the Council).
On the other hand a Member of the Constitutional Council can hold a post
of University Professor. The Constitution does not require a legal qualification
or professional experience; in practice, however, most members of the
Constitutional Council since its creation have been lawyers (judges in
the ordinary or administrative courts, advocates, professors of law) and
many of them have had important political responsibilities (Members of
Parliament, Ministers
).
Originally, its powers were considered as limited : in the new Constitution
of 1958, its main function was to guarantee respect for the frontier between
matters to be governed by Acts of Parliament and matters for executive
regulation. It was also responsible for monitoring presidential and parliamentary
elections. At the time only four authorities were entitled to apply to
the Council for constitutional review of an Act of Parliament - the President
of the Republic, the Prime Minister and the Speakers of the two Houses
of Parliament.
Nobody foresaw that France's Constitutional Council, like Constitutional
Courts elsewhere in Europe or America, would come to occupy the predominant
place it now has in the country today.
The Council's emergence as guarantor of the legislature's observance of
fundamental rights secured by the Constitution came about in two successive
stages.
Firstly, in a leading decision of 1971 concerning freedom of association,
it held that the Preamble to the Constitution of 1958, which refers to
the Declaration of Human and Civic Rights of 1789 and the Preamble to
the Constitution of 1946, had mandatory legal status, even though until
then many legal authorities and the draftsmen of the Constitution regarded
these principles as mere affirmations carrying no direct impact.
The second stage was in 1974, when the Constitution was amended to extend
to sixty Members of Parliament or sixty Senators the right to challenge
an ordinary Act of Parliament as unconstitutional. This amendment had
an immediate effect on the number of enactments referred. It provided
the opposition with a means of developing arguments to challenge the constitutionality
of laws of which it disapproved.
Today the Constitutional Council is known through its two main functions:
control of the regularity of national elections and constitutional review.
Its role is more important in the case of Presidential elections and referendums,
where it exercises both advisory and judicial jurisdiction. It is consulted
by the government on the whole process of organising elections (timetable,
nomination forms, verifying the five hundred signatures that each candidate
has to gather from elected representatives, the actual balloting and so
on). It hears complaints and declares the results of the vote. After that,
in the following months the Council approves or rejects candidates' campaign
accounts. In this last case, the candidate is not declared ineligible
but loses his entitlement to reimbursement of expenses personally incurred.
In parliamentary elections the Constitutional Council intervenes only
to control the regularity of an election after the event but it has no
advisory role. In the event of important irregularities it may order the
total cancellation of the votes and a new ballot then takes place. The
procedure is adversarial.
But the primary function of the Constitutional Council is still the very
specific constitutional review of Acts of Parliament; it occurs before
Acts take effect (after being passed by Parliament but before being promulgated
by the President of the Republic). A statute that is found unconstitutional
cannot be promulgated; if only certain provisions have been declared unconstitutional
and not unseverable from the statute, the statute is promulgated without
these provisions. This is actually the most common practice. Another possibility
frequently used by the Council is the declaration of constitutionality
subject to "qualified interpretation"; the Council will declare
a provision is to be interpreted for it to be constitutional. The procedure
is informal, mostly written, adversarial but secret (though since 1995
some procedural documents have been published with the decision in the
Journal officiel de la République française).
Constitutional review rests on
the application of parameters to which laws are required to conform. They
constitute what has often been called the "bloc de constitutionnalité":
the Constitution itself and its Preamble, which, as we have seen, makes
reference to the Declaration of Human and Civic Rights and to the Preamble
to the Constitution of 1946, which in turn refers to the "the political,
economic and social principles especially necessary to our times"
and "the fundamental principles recognised by the laws of the Republic".
They include freedom of association, individual freedom, freedom of conscience,
freedom to come and go, dignity of the human person and many others. Affirming
these principles through many decisions, the French Constitutional Council
has become a real protector of fundamental rights of the people.
Apart from Acts of Parliament,
the Constitutional Council can also review a treaty for constitutionality
and may declare that the Constitution must be amended before the treaty
can be ratified. This was the case for the European Treaties of Maastricht
and Amsterdam and for the Treaty of Rome creating an International Criminal
Court.
According to the Constitution its
decisions have judicial status and are binding on public authorities and
on all administrative and judicial bodies (no appeal lies from its decisions).
It can consequently be said that its place in the nation's institutional
structure is now assured, and it is further possible to note that both
by its case law and by its dialogue in bilateral and multilateral cooperation
with foreign Constitutional Courts, it participates in the construction
of a "European public order".
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