Dimiter Gotchev
Juge, Bulgarie

L'EGALITE DEVANT LA LOI ET
LA PRATIQUE DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

L'un des principes fondamentaux de la Constitution bulgare, énoncé dans son art. 6, est celui de l'égalité devant la loi. Cette égalité ne peut être limitée par les lois se fondant sur la distinction de race, de nationalité, d'appartenance ethnique, de sexe, d'origine, de religion, d'éducation, de convictions, d'appartenance politique, de condition personnelle et sociale ou de situation de fortune.
La pratique de la Cour constitutionnelle est liée à l'interdiction de limiter les droits des citoyens selon les distinctions ci-dessus. Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité conformément à l'art. 149, al. 1, p. 2 de la Constitution, la Cour a pu se prononcer à plusieurs reprises sur l'inconstitutionnalité de textes de lois, mais c'est la décision interprétative No 14 du 10 novembre 1992, sur l'affaire constitutionnelle No 14 du 1992 (J.O. No 93 de 1992), qui est considérée comme principale en la matière.
Cette décision traite en premier lieu le principe de l'égalité devant les lois de tous les citoyens. Il est signalé que ce principe est fondamental dans toute société démocratique et qu'il est énoncé dans le préambule de la Constitution en tant qu'une valeur universelle parallèlement à la liberté, à la paix, à l'humanisme, à la justice et à la tolérance.
Selon cette décision le respect du principe de l'égalité des citoyens est considéré comme le respect même de la Déclaration universelle des droits de l'homme de l'Organisation des Nations Unies.
Le principe de l'égalité des citoyens devant la loi est lié à l'interdiction d'un traitement inégal fondé sur les distinctions citées dans l'art. 6, al. 2 de la Constitution, autrement dit à l'interdiction de la discrimination.
La Cour repartit en deux catégories les distinctions définissant la discrimination comme inadmissible. La première catégorie regroupe les distinctions de naissance - race, sexe, nationalité, appartenance ethnique, origine. L'inadmissibilité de la discrimination sur la base de ces distinctions relève de la règle qui stipule que «tous les individus naissent libres et égaux en droit… ». Les distinctions de la seconde catégorie - religion, éducation, convictions, appartenance politique, condition personnelle et sociale et situation de fortune - sont acquises et changent au cours de la réalisation sociale de l'individu.
Sont inadmissibles toute limitation des droits et toute attribution de privilèges fondées sur quelle que soit des distinctions mentionnées ci-dessus.
Les distinctions en question sont exhaustivement énumérées dans l'art. 6, al. 2 de la Constitution. L'interdiction par une loi de la discrimination et de l'établissement d'un régime de limitation des droits ou d'attribution de privilèges sur la base d'autres distinctions n'existant pas, le législateur peut limiter les droits ou attribuer des privilèges sur la base des distinctions autres que celles citées dans l'art. 6, al. 2 de la Constitution. Dans la décision en question la Cour constitutionnelle indique que «la Constitution n'exclut pas la limitation des droits et l'attribution de privilèges strictement définis sur la base d'autres distinctions sociales».
Exposées comme elles le sont, les considérations principales du texte de cette décision interprétative de la Cour ont trouvé une application dans nombre de décisions prononcées dans le cadre du contrôle de constitutionnalité exercé sur des textes de lois concrets (art. 149, al. 1, p. 2 de la Constitution).
A titre d'exemple on peut citer la décision No 8 du 27 juillet 1992, affaire constitutionnelle 7/1992 (J.O. No 62/92), par laquelle la Cour constitutionnelle s'est prononcée sur l'inconstitutionnalité du paragraphe 9 des Dispositions finales et transitoires de la Loi sur les banques et les crédits interdisant notamment l'accès aux organes dirigeants des banques à des personnes ayant occupé auparavant certains postes électifs ou faisant partie des effectifs.
La Cour a noté que cette limitation est en contradiction avec l'art. 6, al. 2 de la Constitution parce qu'elle est fondée sur des distinctions qui y sont mentionnées et qui excluent la limitation des droits en matière d'accès à de tels postes.
Par sa décision No 11 du 29 juillet 1992, affaire constitutionnelle No 18/92 (J.O. No 64/92) la Cour a déclaré l'inconstitutionnalité du paragraphe 6 de la Loi modifiant et complétant la Loi sur les pensions de retraite (J.O. No 52/1992) qui porte création d'un nouvel article 10 «a». Le texte en question stipule que le temps passé à un poste dirigeant au sein du personnel des partis et organisations politiques visés dans le texte ne sera pas pris en considération pour l'ancienneté de l'individu concerné.
La Cour a décidé que priver cette catégorie de citoyens de leurs droits conformément à l'art. 51 de la Constitution est en contradiction avec l'art. 6, al. 2. Il n'y a pas de fondement pour un traitement inégal des citoyens.
La Cour a affirmé ce principe constitutionnel aussi dans sa décision No 3 du 3 avril 1992, affaire constitutionnelle No 30/91 (J.O. No 30/92). Elle a notamment rejeté la requête demandant l'établissement d'inconstitutionnalité du paragraphe 1 de la Loi modifiant et complétant la Loi sur le Conseil suprême judiciaire (J.O. No 106/91) ce paragraphe ayant abrogé l'al. 4 de l'art. 2 de cette loi lequel interdit aux avocats en exercice d'être élus au Conseil suprême judiciaire. La Cour a indiqué «qu'on ne peut pas, aux termes d'une loi, établir des limitations fondées sur une telle caractéristique professionnelle de la profession juridique» visant notamment la distinction «d'éducation» de l'art.6, al. 2 de la Constitution.
La Cour a exprimé une position similaire aussi dans sa décision No 9 du 30 septembre 1994, affaire constitutionnelle No 11/94 (J.O. No 87/94). Par cette décision la Cour a déclaré inconstitutionnel l'art. 16, al.4, p. 3 de la Loi sur le pouvoir judiciaire (J.O. No 59/94) lequel stipule que l'exercice d'une profession libre de la part des membres du Conseil suprême judiciaire est incompatible avec leur statut.
C'est toujours en suivant le principe d'inadmissibilité de la limitation des droits, fondée sur les distinctions énumérées dans l'art. 6, al. 2 de la Constitution, que la Cour constitutionnelle a prononcé sa décision No 12 du 4 juin 1998, affaire constitutionnelle 13/98 (J.O. No 66/98), qui établit l'inconstitutionnalité de l'art. 1 de la Loi déclarant propriété de l'Etat les biens immobiliers des familles des anciens rois Ferdinand et Boris et de leurs héritiers (J.O. No 305/47). Dans cette décision la Cour exprime son avis qu'il est inadmissible, du point de vue de la Constitution actuellement en vigueur, de porter atteinte aux droits des individus, selon la distinction de «condition personnelle» ou celle «d'origine».
Dans l'esprit de ce principe s'inscrit aussi la décision No 2 de la Cour du 21 janvier 1999, affaire constitutionnelle No 33/98 (J.O. No 88/99). Dans cette décision la Cour a prononcé l'inconstitutionnalité du paragraphe 1 des Dispositions transitoires et finales de la Loi sur l'administration (J.O. No 108/98) qui interdit aux personnes ayant exercé des fonctions de responsabilité au sein de l'appareil politique et administratif du Parti communiste bulgare d'occuper de postes de responsabilité au sein de l'administration pendant cinq ans.
La Cour a signalé que le droit au travail, énoncé dans l'art. 48 de la Constitution, est limité de façon inadmissible sur la base de l'une des distinctions visées à l'art. 6, al. 2 de la Constitution.
Le principe constitutionnel d'interdiction de la discrimination fondée sur les distinctions visée dans l'art. 6, al. 2 de la Constitution est pris en considération par la Cour constitutionnelle aussi dans l'exercice des compétences qui lui sont attribuées aux termes de l'art. 149, al. 1, p. 4 de la Constitution. Par sa décision No 2 du 18 février 1998, affaire constitutionnelle No 15/97 (J.O. No22/98) la Cour s'est prononcée sur la conformité à la Constitution de la Convention cadre pour la protection des minorités nationales. La Cour a statué que cette Convention est tout à fait conforme aux principes constitutionnels fondamentaux et en particulier à la disposition de l'art. 6, al. 2 de la Constitution portant sur la limitation des droits des citoyens sur la base des distinctions de race, de religion, de nationalité et d'appartenance ethnique.
L'autre principe constitutionnel d'importance, découlant de l'art. 6, al. 2 de la Constitution, selon lequel la limitation légitime des droits des citoyens et l'établissement de différences dans le régime juridique, sur la base des distinctions autres que celles visées dans l'art. 6, al. 2, sont constitutionnellement admissibles, est également appliqué dans nombre de décisions de la Cour constitutionnelle.
A titre d'exemple on peut citer la décision No 1du 11 février 1993, affaire constitutionnelle No 32/92, (J.O. No 14/93), par laquelle la Cour a statué que la Loi sur l'application provisoire de certaines exigences complémentaires concernant des membres des directions des organisations scientifiques et de la Haute commission d'attestation (J.O. No 104/92) n'est pas contraire à la Constitution parce que les distinctions, visées dans l'art. 6,al. de la Constitution, sont exhaustivement énumérées alors que la limitation des droits, sur la base d'autres distinctions, est constitutionnellement admissible. Ainsi par exemple le principe du professionnalisme, visé dans la loi en question, n'est pas cité dans l'art. 6, al. 2 de la Constitution.
Par sa décision No 1 du 16 janvier 1997, affaire constitutionnelle No 27/96, (J.O. No 9/97), la Cour a rejeté la requête demandant l'établissement d'inconstitutionnalité du paragraphe 1 et du paragraphe 2 de la Loi modifiant et complétant la Loi sur la protection des dépôts et des comptes en banques de commerce pour lesquelles la Banque Nationale Bulgare a demandé l'ouverture d'une procédure de déclaration en faillite (J.O. No 90/96). La Cour a noté que la protection inégale, des déposants de la part de l'Etat, dépasse, dans ce cas, la question de l'inadmissibilité du traitement inégal des citoyens, découlant de l'art. 6, al. 2 de la Constitution.
La Cour a utilisé la même approche dans sa décision No 18 du 14 novembre 1997, affaire constitutionnelle No 12/97, (J.O. No 110/97). Par cette décision la Cour a rejeté la demande d'inconstitutionnalité du texte de l'art. 9, al. 1, p. 1 de la Loi sur les banques (J.O. No 52/97).
La Cour a considéré que l'exigence à l'égard des membres du conseil d'administration et du conseil des directeurs d'avoir fait des études supérieures en droit ou économie n'est pas une discrimination inadmissible aux termes de l'at. 6, al. 2 parce que cette exigence de la loi ne figure pas parmi les distinctions, visées dans cet article.
Les exemples, cités de la pratique de la Cour constitutionnelle, qui devient, il faut le dire, pratique courante, témoigne clairement du rôle que la Cour constitutionnelle joue en matière de protection des droits des citoyens contre des dispositions de loi discriminatoires.


SUMMARY

Equality before the law is one of the fundamental principles of the Constitution of the Republic of Bulgaria. In the discharge of its constitutional control function on the laws passed by Parliament the Constitutional Court has ruled on more than one occasion that a legal text is in contravention to the Constitution as it discriminates citizens on the basis of criteria that the Constitution recognizes as non-acceptable.

The interpretative decision No 14 of November 10, 1992 is the guiding decision in this practice. The decision characterizes in general the principle of equality before the law and the ban on the abridgement of this right. The decision proclaimed the principle of the exclusiveness of the principles named. The decision divides the criteria in two groups. The individual acquired the first group of criteria like race, gender, nationality and ethnic identity by birth; the second group of criteria like education, beliefs, and political affiliation were added.

As regards the Law on Banks and Lending Activities the Court ruled that it was in contravention to the Constitution to introduce a ban to persons who had previously held certain positions.

On another occasion the Constitutional Court ruled that it was anticonstitutional to count out definite positions held in the past in party headquarters or government institutions when calculating the length of service valid for retirement.

The decision that outlawed the text barring the civil service to persons who had previously held senior positions in the Bulgarian Communist Party is in the same vein.

The Constitutional Court ruled it was anticonstitutional to confiscate the property of the ex kings Ferdinand and Boris III and their inheritors on grounds of origin.

A number of Constitutional Court decisions have been passed to say that a law can abridge rights or grant privileges on grounds of attributes that are not listed in the Constitution and that cannot justify the abridgement of rights and granting of privileges.

The Court ruled that it is constitutionally acceptable to institute a different protection regime for the commercial banks' depositors when the banks are adjudicated bankrupt.

The Court did not find discrimination in the law-required law or economics degree for the bank governors or the bank governing board members.